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Le sacrifice d’Abraham – Origène

Le sacrifice d’Abraham* – Origène (+253/54)

*Homélie 8 sur la Genèse. P. G., 12, 203. Le texte grec est perdu. Il ne reste que la version latine de Rufin.

      1. Prêtez ici l’oreille, vous qui êtes venus auprès du Seigneur, qui prétendez être fidèles; mettez tous vos soins à considérer, dans le récit qui vous a été lu, comment la foi des fidèles est mise à l’épreuve. Il arriva, dit l’Écriture, après ces paroles, que Dieu éprouva Abraham et lui dit: Abraham, Abraham. Et celui-ci lui répondit: Me voici. Considère chaque détail de l’Écriture. Pour qui sait creuser profond, chacun renferme un trésor. Là même où peut-être on s’y attend le moins, se cachent les joyaux précieux des mystères.

      L’homme dont nous parlons s’appelait d’abord Abram. Nous ne lisons nulle part que Dieu l’ait appelé de ce nom ou lui ait dit: Abram, Abram. Dieu ne pouvait l’appeler du nom qu’il allait supprimer. Il l’appelle du nom qu’il lui a donné. Il ne se contente pas de lui donner ce nom, il le répète. A sa réponse: Me voici, Dieu poursuit: Prends Isaac, ton fils très cher que tu aimes, et tu me l’offriras. Va, ajouta-t-il, en un lieu élevé, et tu me l’offriras en holocauste, sur une montagne que je t’indiquerai.

      Dieu lui-même expliqua le nom d’Abraham qu’il lui donna: « Car, dit-il, je t’ai établi père d’une multitude de peuples » (Genèse, 17, 5). Dieu lui fit cette promesse, alors qu’il n’avait comme fils qu’Ismaël; mais il lui donna l’assurance que la promesse se réaliserait, quand Sara lui donnerait un fils. Il avait allumé en son coeur l’amour paternel, non seulement en lui donnant une postérité, mais en lui faisant espérer l’accomplissement des promesses.

      Et voici que ce fils qui porte des promesses si grandes et si merveilleuses, ce fils, dis-je, qui lui a valu le nom d’Abraham, il lui est demandé de l’offrir en holocauste au Seigneur sur une des montagnes.

      Qu’en dis-tu, Abraham? Quelles pensées bouleversent ton coeur? La voix de Dieu a parlé pour ébranler ta foi et l’éprouver. Qu’en dis-tu? Qu’en penses-tu? Est-ce que tu te ravises? Tu te dis peut-être, en ton coeur, en réfléchissant: Si la promesse m’a été donnée en Isaac, et que je l’offre maintenant en holocauste, il ne me reste donc plus de promesse à attendre? Ne penses-tu pas bien plutôt: il est impossible, te dis-tu, que celui qui a fait la promesse ait menti. Quoi qu’il arrive, la promesse demeurera.

      Moi, il est vrai, je suis bien trop petit, je ne suis pas à même de scruter les pensées d’un si grand patriarche. Jamais je ne connaîtrai les réflexions, les sentiments qui ont aginté son coeur, quand la voix de Dieu l’a mis à l’épreuve, en lui ordonnant d’immoler son fils unique. Mais comme l’esprit des prophètes est soumis aux prophètes (1Corinthiens, 14, 32), l’apôtre Paul a connu, je crois, par l’Esprit, les sentiments et les réflexions d’Abraham. Il les précise, quand il écrit: Dans sa foi, Abraham n’hésita point quand il offrit son fils unique, sur qui reposait la promesse; il se dit que Dieu est assez puissant pour ressusciter les morts (Hébreux, 11, 17).

      L’Apôtre nous a donc livré les pensées de cet homme de foi; la foi en la résurrection est apparue pour la première fois, avec l’histoire d’Isaac. Abraham espérait qu’Isaac allait ressusciter; il a eu foi que se réaliserait ce qui n’était pas encore accompli. Comment peuvent-ils être fils d’Abraham ceux qui ne croient pas accompli dans le Christ ce qu’Abraham a cru devoir s’accomplir en Isaac? Et même, pour parler plus clairement, Abraham savait qu’il préfigurerait la vérité à venir, il savait que, de sa postérité, naîtrait le Christ, qui serait réellement offert en victime pour l’univers entier et ressusciterait d’entre les morts.

      2. Or, dit l’Écriture, Dieu éprouverait Abraham et lui commanda: Prends ton fils très cher, celui que tu aimes. Il ne se contente pas de dire: ton fils, mais il ajoute très cher. Passons! mais pourquoi ajouter celui que tu aimes? Songe combien lourde est l’épreuve. Ces appellations d’amour et de tendresse encore et toujours répétées rendent plus vifs les sentiments d’un père: le souvenir vivant de cet amour fait hésiter la main du père, qui doit immoler son fils; toute la cohorte de la chair se dresse contre la foi de l’esprit. A l’heure de l’épreuve, il entend: Prends donc ton fils très cher, dit-il, celui que tu aimes, Isaac.

      Passe encore, Seigneur, que tu fasses mémoire d’un fils à son père, mais tu appelles très cher celui que tu ordonnes d’immoler! C’en est assez pour le supplice du père! Tu ajoutes encore: celui que tu aimes. Ce qui rend le supplice pour le père trois fois plus grand. A quoi bon en rappeler le nom: Isaac? Abraham pouvait-il ignorer que son fils très cher, celui qu’il aimait, s’appelait Isaac? Pourquoi le rappeler à cette heure? Pour qu’Abraham se souvienne que tu lui avais dit: en Isaac résidera ta descendance qui perpétuera ton nom (Genèse, 21, 1). En Isaac se réaliseront pour toi les promesses. Il rappelle le nom pour mettre en doute les promesses faites en ce nom. Tout cela, pour éprouver la foi d’Abraham.

      3. Qu’y a-t-il après? Va-t-en, lui dit-il, en un lieu élevé sur une des montagnes que je te montrerai. Là tu immoleras l’holocauste. Considérez par le détail la progression de l’épreuve. Va-t-en en un lieu élevé. Pourquoi ne pas conduire Abraham avec l’enfant en ce lieu élevé et lui désigner la montagne choisie par le Seigneur, et là lui demander d’offrir son fils? Mais non: Il lui est d’abord demandé d’offrir son fils, puis de se rendre en un lieu élevé et là de gravir une montagne. Dans quelle intention?

      Pour qu’en route, chemin faisant, il soit, tout au long du parcours, tiraillé par ses réflexions, qu’il soit tour à tour écartelé par l’ordre qui le presse et par l’amour de son fils unique qui se révolte. Voilà pourquoi il doit faire la route, gravir la montagne, pour donner, tout au long du trajet, le temps de s’affronter à son coeur et à sa foi, à l’amour de Dieu et à l’amour de la chair, à la joie de ce qui est présent et à l’attente des biens futurs.

      Il lui faut aller en un lieu élevé. Il ne suffit pas au patriarche pour accomplir une si grande oeuvre au nom du Seigneur, de se rendre en un lieu élevé; il lui faut gravir une montagne, ce qui veut dire: il lui faut quitter, porté par la foi, les choses de la terre pour monter vers celles d’en haut.

      4. Abraham se leva donc de bon matin, sella son ânesse et fendit le bois de l’holocauste. Il prit avec lui son fils Isaac et deux serviteurs; il parvint au lieu que Dieu lui avait fixé le troisième jour. Abraham se leva le matin. En ajoutant le matin, l’Écriture veut peut-être montrer que l’aube de la lumière brillait déjà dans son coeur. Il sella son ânesse, prépara le bois et prit son fils. Il ne délibère pas, ne tergiverse pas, ne parle à personne de son dessein, mais immédiatement se met en route.

      Et il parvint au lieu que Dieu lui avait fixé le troisième jour. Pour le moment, je laisse de côté le mystère exprimé par le troisième jour, pour ne considérer que la sagesse et le dessein de celui qui met à l’épreuve. Les alentours ne présentaient pas de montagne, alors que tout devait se passer sur les sommets; la route se prolonge donc pendant trois jours, trois jours durant lesquels les inquiétudes l’assaillent, sa tendresse de père est torturée. Et tout au long de cette attente, le père peut contempler son fils à loisir, il prend avec lui ses repas, se blottit contre sa poitrine, repose contre son coeur. Voyez: l’épreuve est à son comble.

      Le troisième jour est toujours plein de mystères. Le peuple qui sortit de l’Égypte, le troisième jour offre à Dieu un sacrifice, le troisième jour il se purifie. La résurrection du Seigneur a lieu le troisième jour. Ce jour renferme bien d’autres mystères…

Origène (+253/54)   



Pureté et Sainte Communion – St Augustin

Sermon CXXXII. Pureté et Sainte Communion (Jean, VI, 66. 67)

      1. Nous venons de l’entendre pendant la lecture du saint Évangile, c’est en nous promettant la vie éternelle que Jésus-Christ notre Seigneur nous exhorte à manger sa chair et à boire son sang. Vous l’avez tous entendu, mais tous vous ne l’avez pas compris. Vous qui êtes baptisés et vous- qui êtes au nombre des fidèles, vous savez la pensée du Seigneur. Quant à ceux qui sont encore Catéchumènes où Écoutants, ils ont pu entendre ses paroles, mais en ont-ils saisi le sens? Aussi nous adressons-nous aux uns et aux autres.

      Ceux qui déjà mangent la chair du Seigneur et boivent son sang, doivent songer à ce qu’ils mangent et à ce qu’ils boivent; pour ne pas s’exposer, comme s’exprime l’Apôtre, à manger et à boire leur condamnation (I Cor. XI, 29). Pour ceux qui ne communient pas encore, qu’ils s’empressent d’approcher de ce divin banquet où ils sont invités. C’est à cette époque que les maîtres de maison donnent des repas : Jésus en donne chaque jour, et voilà sa table dressée au milieu de cette enceinte. Qui vous empêche, ô Écoutants, de voir cette table et de vous asseoir à ce festin? Vous vous êtes dit peut-être, durant la lecture de l’Évangile : Quelle idée nous faire de ces mots : « Ma chair est véritablement une nourriture et mon sang véritablement un breuvage ? » Comment se mange la chair et comment se boit le sang du Seigneur ? Que veut-il dire? — Mais qui t’a fermé l’entrée de ce mystère? Tu y vois un voile; ce voile, si tu veux, sera ‘soulevé. Viens à la profession de foi et la question sera résolue pour toi, car ceux qui l’ont faite connaissent ce qu’a voulu dire notre Seigneur Jésus. Quoi! on t’appelle Catéchumène, on t’appelle Écoutant, et tu es sourd! Tu as ouverte l’oreille du corps, puisque tu entends le bruit des paroles; mais tu as fermée encore l’oreille du coeur, puisque tu n’en comprends point le sens. Je parle, mais je n’explique pas. Nous voici à Pâques, fais-toi inscrire pour le Baptême. Si la fête ne suffit pas pour t’exciter, laisse-toi conduire par la curiosité même, par le désir de savoir ce que signifie « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui. » Pour comprendre avec moi le sens de ces mots : frappe et on t’ouvrira. Je te dis : Frappe et on t’ouvrira; moi aussi je frappe, ouvre-moi; je fais bruit aux oreilles, mais je frappe au coeur.

      2. Mes frères, si nous devons exciter les Catéchumènes à ne point différer de recevoir cette grâce- immense de la régénération; quel soin devons-nous consacrer à porter les fidèles à profiter de ce qu’ils reçoivent, à ne pas manger, à ne pas boire leur condamnation à cette table divine ! Qu’ils vivent donc bien, pour être préservés de ce malheur. Et vous, exhortez, non par vos paroles, mais par vos moeurs, ceux qui ne sont pas baptisés, à suivre vos exemples sans y trouver la mort. Époux, gardez à vos épouses la foi nuptiale ; faites pour elles, ce que vous exigez pour vous. Mari, tu requiers de ta femme la garde de la chasteté, donne-lui l’exemple et non des paroles. Tu es le chef; vois où tu marches; car tu ne dois marcher que par où elle peut te suivre sans danger; que dis-je? partout où tu veux qu’elle mette le pied, tu dois mettre le tien. De ce sexe faible tu exiges la force : comme vous éprouvez l’un et l’autre les convoitises de la chair, c’est au plus fort de vaincre le premier. N’est-il pas toutefois déplorable de voir tant d’hommes vaincus par les femmes? Des femmes gardent la chasteté que des hommes refusent d’observer; ils mettent même leur honneur d’homme à ne l’observer pas, comme si leur sexe n’était plus fort que pour se laisser plus ‘facilement dompter par l’ennemi. Il y a lutte, il y a combat, il y a bataille. L’homme est plus fort que la femme, dont il est le chef (Ephés. V, 23). La femme combat, elle triomphe; et toi tu succombes! Le corps reste debout et la tête est tombée!

      Pour vous, qui n’êtes point mariés encore et qui pourtant vous approchez de la table du Seigneur pour y manger sa chair et y boire son sang, conservez-vous pour vos futures épouses si vous devez en prendre. Ne doivent-elles pas vous trouver telles que vous désirez les trouver vous-mêmes? Quel est le jeune homme qui ne désire une épouse chaste, qui ne demande l’intégrité la plus parfaite dans la vierge à laquelle il veut s’unir ? Sois ce que tu veux qu’elle soit ; tu la veux pure, sois pur. Ne pourrais-tu ce dont elle est capable ? Si la vertu est impossible, pourquoi la pratique-t-elle? Et si elle la pratique, n’est-ce pas t’enseigner qu’elle est praticable ? C’est Dieu sans doute qui la dirige pour l’en rendre capable.

      Souviens-toi cependant qu’à la pratiquer tu auras plus de gloire qu’elle. Pourquoi plus de gloire? C’est qu’elle est comprimée par la vigilance de ses parents, arrêtée par la pudeur (le son faible sexe, retenue enfin par la peur de lois que tu n’as pas à craindre. Voilà pourquoi tu auras réellement plus de gloire à demeurer chaste, la pureté sera en toi la preuve que tu crains Dieu.Elle, en dehors de Dieu, que n’a-t-elle pas à craindre? Toi, tu n’as d’autre crainte que celle de Dieu ; mais aussi quelle grandeur comparable à celle de ce Dieu que tu crains ? Il faut le craindre en public et le craindre en secret. Si tu sors il te voit, il te voit encore si tu entres ; ta lampe brûle, il te voit ; elle est éteinte, il te voit encore; il te voit quand tu pénètres dans ton cabinet, il te voit aussi quand tu réfléchis en ton coeur. Crains, crains cet oeil qui ne te perd pas de vue, et que la crainte au moins te maintienne chaste; ou bien, si tu es déterminé à pécher, cherche un endroit où Dieu ne te verra pas, et fais là ce que tu veux.

      3. Pour vous qui déjà avez fait le voeu de pureté, châtiez plus sévèrement votre corps, ne laissez pas la convoitise aller même à ce qui est permis; non content, de vous abstenir de tout contact impur, sachez dédaigner même un regard licite. Quelque soit votre sexe, souvenez-vous que vous menez sur la terre la vie des Anges, puisque les Anges ne se marient point. Après lai résurrection nous serons tous comme eux (Matt. XXXII, 30); mais combien vous l’emportez sur les autres, vous qui commencez d’être avant la mort ce qu’ils ne seront qu’après la résurrection ! Soyez fidèles à vos engagements divers, comme Dieu sera fidèle à vous glorifier diversement. Les morts ressuscités sont comparés aux étoiles du ciel. « Une étoile, dit l’Apôtre, diffère en clarté d’une autre étoile. Ainsi en est-il de la résurrection (I Cor. XV, 41, 42). » Autre sera l’éclat de la virginité, autre l’éclat de la chasteté conjugale, autre encore l’éclat de la viduité sainte. La gloire sera diverse, ruais tous les élus auront la leur. La splendeur n’est pas la même, le ciel est commun.

      4. Réfléchissez ainsi à vos devoirs, soyez fidèles à vos obligations diverses et recevez la chair, recevez le sang du Seigneur. Qu’on n’approche point, si l’on n’a pas la conscience en bon état. Que mes paroles vous portent de plus en plus à la componction. Elles portent la joie dans ceux qui savent rendre à leurs épouses ce qu’ils demandent d’elles et dans ceux aussi qui observent avec perfection la continence qu’ils ont vouée à Dieu. Mais il en est d’autres qui s’affligent en m’entendant dire : N’approchez pas de ce pain sacré, vous qui n’êtes pas purs. Je voudrais bien ne pas tenir ce langage : mais que faire ? Aurai-je peur de l’homme pour ne pas annoncer la vérité ? Il faudra donc que ces serviteurs infidèles ne craignant pas le Seigneur, je ne le craigne pas non plus, comme si je ne connaissais pas cette sentence : « Serviteur mauvais et paresseux, tu aurais dû donner et moi j’aurais fait rendre (Matt. 26, 27). »

      Ah ! j’ai donné, Seigneur mon Dieu ; oui, devant vous, devant vos Anges et devant votre peuple j’ai distribué vos richesses; car je redoute vos jugements. J’ai distribué, à vous de faire rentrer. Du reste vous le ferez assez sans que je le dise. Je dirai donc au contraire: J’ai distribué, à vous de toucher, à vous de pardonner. Rendez purs ceux qui étaient impurs. Ainsi, au jour de vos arrêts, nous serons tous dans la joie, et celui qui a donné et celui qui a reçu. Le voulez-vous, mes frères ? Veuillez-le. O impudiques, corrigez-vous pendant que vous êtes en vie. Je puis bien annoncer la parole de Dieu, mais je ne saurais soustraire au jugement et à la condamnation suprême les impurs qui auront persévéré dans leurs infamies.

Saint Augustin (+430)



Né de nouveau – Grégoire de Nysse (+ vers 394)

Pour la fête des lumières (Sermon prononcé en 383, P. G., 46, 580)

      Il nous faut terminer avec les témoignages de l’Écriture. Notre discours se prolongerait sans fin si nous voulions tout énumérer pour le rassembler dans un seul livre. Vous tous qui vous glorifiez du don de la nouvelle naissance et êtes fiers de votre renouvellement et de votre salut, montrez-moi après cette grâce mystique le changement opéré dans vos mœurs; laissez-moi voir dans la pureté de votre vie combien vous vous êtes améliorés. Ce qui tombe sous le sens ne change pas, la forme du corps reste la même et dans la structure de la nature visible rien ne se modifie.

      Il nous faut nécessairement une preuve pour discerner l’homme nouveau, il nous faut des signes pour distinguer le nouveau du vieil homme. Ce sont, me semble-t-il, les mouvements libres de l’âme qui s’arrache elle-même à la vie passée pour adopter un nouveau style de vie, montrant clairement à ceux qui les fréquentent le changement opéré et que le passé ne laisse pas de trace.

      Voici en quoi consiste la transformation, si vous voulez bien me suivre et aligner votre conduite à mes paroles. Avant le baptême, l’homme était intempérant, avare, voleur, injurieux, menteur, calomniateur et tout ce qui s’en suit. A présent, il lui faut être réservé, satisfait de ce qu’il possède, prêt à le partager avec les pauvres, soucieux de la vérité, respectueux de tous et avenant, en un mot il doit pratiquer tout ce qui est bien. Comme la lumière chasse les ténèbres et la blancheur la noirceur, les œuvres de la justice chassent le vieil homme. Tu vois comment Zachée par son changement de vie a étouffé le publicain en lui: il a rendu le quadruple à ceux qu’il avait lésés; il a distribué aux pauvres ce que précédemment il leur extorquait.

      Un autre publicain, l’évangéliste Matthieu, collègue de Zachée, immédiatement après son élection a déposé sa vie passée comme un masque. Paul avait été un persécuteur, il devint par grâce apôtre et porta pour le Christ, en esprit d’expiation et de pénitence les chaînes injustes que jadis il avait reçues de la Loi pour poursuivre les disciples de l’Évangile.

      Voilà comment il doit se présenter la nouvelle naissance, s’extirper l’habitude du péché, voilà comment doivent vivre les fils de Dieu, car la grâce nous fait fils de Dieu. Il nous faut donc contempler exactement les qualités de notre Créateur de manière à nous modeler sur notre Père pour devenir les fils véritables et légitimes de celui qui par grâce nous a appelés à l’adoption. Un fils dénaturé et déchu qui, dans sa conduite, trompe la noblesse de son père est un reproche vivant. Voilà pourquoi, me semble-t-il, le Seigneur dans l’Évangile en traçant notre ligne de conduite dit à ses disciples: « Faites du bien à ceux qui vous haïssent, priez pour ceux qui vous blessent et vous persécutent, afin que vous soyez les fils de votre Père céleste, qui fait lever son soleil sur les méchants comme sur les bons, et pleuvoir sur les justes comme sur les injustes » (Matthieu, 5, 44-45). Vous serez des fils, dit-il, si vous partagez la bonté du Père, en exprimant dans votre comportement et vos disposition à l’endroit de vos proches la bonté de Dieu.

      Voilà pourquoi, une fois revêtus de la dignité de fils, le démon nous assiège plus durement, car il crève de jalousie quand il voit la beauté de l’homme nouveau qui s’achemine vers la cité céleste dont il a été chassé. Il allume en vous de terribles tentations et s’efforce de vous dépouiller de votre seconde parure, comme il l’avait fait pour la première fois. Lorsque nous remarquons ses incursions, il nous faut redire la parole de l’Apôtre: « Nous tous qui avons été baptisés, nous avons été baptisés en sa mort » (Romains, 6, 3.).

      Si donc nous sommes morts, le péché est mort pour nous, il a été percé par la lance comme Phinéas dans son zèle l’avait fait pour le débauché. Va-t’en donc, misérable, tu veux dépouiller un mort qui t’avais suivi autrefois, à qui les voluptés passées avaient fait perdre le sens. Un mort n’a aucun attrait pour son corps, un mort n’est pas séduit par les richesses, un mort ne calomnie pas, un mort ne ment pas, ne dérobe pas ce qui ne lui appartient pas, ne méprise pas ceux qu’il rencontre.

      J’ai changé de style de vie. J’ai appris à mépriser le monde, à faire fi des biens terrestres et à rechercher les biens d’en-haut. Paul l’a dit: Le monde lui est crucifié, et lui au monde (Galates, 6, 14). Voilà le discours de l’âme régénérée en vérité, voilà comment s’exprime l’homme nouveau qui se souvient de la profession de foi qu’il a faite à Dieu en accueillant le mystère, où il a promis de mépriser toute peine et tout plaisir par amour pour lui.

      Voilà qui suffit pour commémorer la festivité que le cycle de l’année nous propose. Il convient de terminer notre discours par celui qui nous fait ce don pour lui apporter en échange un modeste tribut pour tant de bienfaits.

      Tu es, en vérité, Seigneur, une source sans cesse jaillissante de bonté, toi qui nous as rejetés dans ta justice et qui as eu pitié dans ta bienveillance. Tu nous as haïs et tu est réconcilié avec nous, tu nous as maudis et tu nous as bénis; tu nous as chassés du paradis et tu nous y as ramenés; tu nous as revêtus de modestes feuilles de figuier, l’habit de notre misère, et tu nous as jeté sur les épaules le manteau de parure; tu as ouvert la prison et libéré les condamnés, tu nous as aspergés d’eau pure et lavés de nos souillures. Désormais Adam n’aura plus à rougir si tu l’appelles, il n’aura plus à se cacher dans le taillis du paradis sous le poids de sa conscience. L’épée de feu ne fermera plus l’entrée du paradis pour empêcher d’entrer ceux qui s’approchent. Tout est changé en joie pour les héritiers du péché, le paradis et le ciel sont désormais ouverts à l’homme. La création terrestre et supra-terrestre autrefois divisées se sont unies dans l’amitié; nous, les hommes, nous sommes accordés avec les anges et communion dans une même connaissance de Dieu.

      Pour ces raisons, chantons à Dieu le chant d’allégresse que des lèvres inspirées ont proféré un jour:

                  Mon âme exultera à cause du Seigneur
                  car il m’a revêtu des vêtements du salut,
                  comme l’époux coiffe un turban,
                  comme la mariée se pare de ses atours. (Isaïe, 61, 10).

      Celui qui parle l’épouse est naturellement le Christ, qui est, qui était, qui sera, il est béni maintenant et dans les siècles. Amen.

Grégoire de Nysse (+ vers 394)      



Le chant nouveau * – Saint Augustin d’Hippone

Le chant nouveau * – Saint Augustin d’Hippone

* P.L., 38, 210-213, Sermon 34 sur le psaume 149.

      1. L’on nous invite à chanter au Seigneur un chant nouveau. L’homme nouveau connaît ce chant nouveau. Le chant est l’expression de la joie, et à la réflexion, il est aussi l’expression de l’amour. Celui donc qui sait aimer la vie nouvelle sait chanter ce chant nouveau. Qu’est-ce que la vie nouvelle? Le chant nouveau nous incite à la chercher. Car tout ici appartient à l’unique royauté: l’homme nouveau, le chant nouveau, le testament nouveau, et dès qu’il chantera son chant nouveau, l’homme nouveau appartiendra au testament nouveau.

      2. Il n’est personne qui n’aime: mais qu’aime-t-on? On n’exige pas que nous cessions d’aimer, mais que nous choisissions l’objet de notre amour. Or choisirions-nous si nous n’étions d’abord choisis? Nous n’aimons que si nous sommes aimés les premiers. Écoutez l’apôtre Jean: c’est lui qui se penchait sur le coeur de son Maître et qui, en ce repas, buvait les célestes secrets. Cette boisson, cette ivresse heureuse lui inspirèrent ce mot: « Au commencement était la Parole » (Jean, 1, 1). Sublime humilité! Enivrement spirituel! Mais ce grand inspiré, c’est-à-dire ce grand prédicateur (Augustin joue sur le double sens de ructare, roter et prêcher.), entre autres secrets qu’il puisa sur le coeur de son Maître, proféra celui-ci: « Nous l’aimons parce qu’il nous a aimés le premier. » (1Jean, 4, 10). C’était accorder beaucoup à l’homme que de dire en parlant de Dieu: Nous aimons. Nous, lui? Des hommes, Dieu? Des mortels, l’éternel? Des pécheurs, le juste? Des êtres fragiles, l’immuable? Des créatures, le créateur? Nous l’avons aimé! Et comment l’avons-nous pu? Parce que lui-même nous a aimés le premier. Celui que nous avons aimé s’est lui-même donné: il s’est donné pour que nous l’aimions. Qu’a-t-il donné pour que nous l’aimions? L’apôtre Paul vous le dira plus clairement: « L’amour de Dieu, dit-il, s’est répandu en nos coeurs. » (Romains, 5, 5). Par qui? Est-ce pour nous? Non. Par qui alors? Par l’Esprit-Saint qui nous a été donné.

      3. Pleins d’un si grand témoignage, aimons Dieu par Dieu. Puisque l’Esprit-Saint est Dieu, aimons Dieu par Dieu. Que dirai-je de plus? Aimons Dieu par Dieu. L’amour de Dieu, dis-je, s’est répandu dans nos coeurs, par l’Esprit-Saint qui nous a été donné. Et de ce que l’Esprit-Saint est Dieu et que nous ne pouvons aimer Dieu que par l’Esprit-Saint, il découle que nous aimons Dieu par Dieu. La conclusion s’impose. Jean vous le dira plus nettement encore! « Dieu est amour et celui qui demeure dans l’amour, demeure en Dieu et Dieu en lui » (Jean, 4, 8 ); c’est peu de dire: l’amour vient de Dieu. Mais qui d’entre nous oserait répéter cette parole: Dieu est amour? Elle a été proférée par quelqu’un qui connaissait ce qu’il possédait. Pourquoi l’imagination de l’homme, pourquoi son esprit frivole lui représentent-ils Dieu, pourquoi forgent-ils une idole à son coeur? Pourquoi lui donnent-ils un Dieu imaginaire, au lieu du Dieu qu’il a mérité de trouver? Est-ce là dieu? Non, mais le voici. Pourquoi esquisser ces contours? Pourquoi disposer ces membres? Pourquoi tracer ces lignes gracieuses? Pourquoi rêver des beautés de son corps? Dieu est amour. Quelle est la couleur de l’amour? Quelles sont ses formes et ses lignes? Nous ne voyons rien de lui, et pourtant nous aimons.

      4. J’ose le déclarer à votre Charité (Votre Charité ou Votre Sainteté sont des formules de politesse qu’Augustin adresse fréquemment à son auditoire): cherchons en bas ce que nous découvrirons là-haut. L’amour humble et bas lui-même, l’amour sale et honteux qui ne s’attache qu’à la beauté physique, cet amour, dis-je, nous presse pourtant et nous élève vers des sentiments plus hauts et plus purs. Un homme sensuel et débauché aime une femme d’une rare beauté. Il est bouleversé par la grâce de son corps, mais, au-dedans, il cherche une réponse à sa tendresse. Apprend-il que cette femme le hait? Toute la fièvre, toutes les transes qu’excitaient ces traits admirables retombent. Devant cet être qui le fascinait, il éprouve un haut-le-coeur; il s’éloigne, plein de colère, et l’objet de sa tendresse lui inspire même un commencement de haine. Son corps s’est-il pour autant altéré? Ses charmes se sont-ils évanouis? Non. Mais il brûlait pour l’objet qu’il voyait, et il exigeait du coeur un sentiment qu’il ne voyait pas. S’aperçoit-il au contraire qu’il est aimé de retour? Comme il redouble d’ardeur! Elle le voit, il la voit, mais nul ne voit l’amour, et pourtant, c’est lui que l’on aime, quoique invisible!

      5. Relevez-vous de ces désirs fangeux et demeurez dans la pure lumière de l’amour. Tu ne vois pas Dieu: aime, et tu le possèdes. Tant de biens, objets de vils désirs, sont aimés sans être possédés. On les convoite âprement, mais on ne peut les posséder aussitôt. L’amour de l’or nous en donne-t-il la possession? Beaucoup l’aiment et n’en ont pas. Aimer les grands et riches domaines, est-ce les avoir? Beaucoup les aiment et n’en ont pas. Aimer les honneurs, est-ce les détenir? Beaucoup en sont dénués et brûlent de les acquérir. Ils se démènent, et le plus souvent, meurent avant que le succès ait couronné leurs efforts.

      Mais Dieu s’offre à nous, d’emblée. Aimez-moi, nous crie-t-il, et vous me posséderez. Car vous ne pouvez m’aimer sans me posséder.

      6. O frères! O fils! O germes catholiques! O plantes saintes et célestes, ô vous qui êtes régénérés en Jésus-Christ et nés dans le ciel, écoutez-moi, ou plutôt écoutez par moi: Chantez au Seigneur un chant nouveau! Bien, dis-tu, je chante. Tu chantes, oui, tu chantes. J’entends. Mais que ta vie ne porte pas témoignage contre ta langue. Chantez avec la voix, chantez avec le coeur, chantez avec la bouche, chantez avec la vie, chantez au Seigneur un chant nouveau. Mais comment devez-vous chanter celui que vous aimez? Sans nul doute, c’est celui que tu aimes que tu désires chanter. Tu veux connaître sa gloire pour la chanter. Vous avez entendu: Chantez au Seigneur un chant nouveau. Vous voulez connaître sa gloire? Sa gloire est dans l’assemblée des saints. La gloire de celui que l’on chante n’est autre que le chanteur. Voulez-vous dire gloire à Dieu? Soyez vous-même ce que vous dites. Vous êtes sa gloire, si vous vivez dans le bien. Car sa gloire n’est pas dans la synagogue des Juifs, elle n’est pas dans les folies des païens, elle n’est pas dans les erreurs des hérétiques, elle n’est pas dans les applaudissements du théâtre. Vous cherchez où elle est? Jetez les yeux sur vous-mêmes, soyez-la vous-mêmes. Sa gloire est dans l’assemblée des saints. Sais-tu d’où vient ta joie quand tu chantes? Qu’Israël se réjouisse en celui qui l’a faite; et Israël ne trouve point d’autre joie qu’en Dieu.

      7. Interrogez-vous bien, mes frères; détruisez vos greniers intérieurs. Ouvrez les yeux, considérez votre capital d’amour, et augmentez ce que vous en aurez découvert. Veillez sur ce trésor afin d’être riches en vous-mêmes.

      On dit chers les biens qui ont un grand prix; et non par hasard. Remarquez bien cette expression: ceci est plus cher que cela. Que signifie « est plus cher »? N’est-ce pas: est d’un plus grand prix, quoi de plus cher que l’amour même (Mot à mot: Qu’est-ce qui est plus cher que la charité? Augustin joue l’origine commune des deux termes: carus, caritas), mes frères? Quel en est, à votre sens, le prix? Et comment le payer? Le prix du blé, c’est ta monnaie; le prix d’une terre, c’est ton argent; le prix d’une pierre, ton or; le prix de ton amour, c’est toi. Tu voudrais acheter un champ, une pierre, une bête de somme, et pour le payer, tu cherchez une terre, tu regardes autour de toi. Mais si tu désires posséder l’amour, ne cherche que toi-même, ne trouve que toi-même. Que crains-tu en te donnant? De te perdre? Mais c’est au contraire en te donnant que tu ne te perds pas. L’amour lui-même s’exprime dans la Sagesse et apaise d’un mot le désarroi où te jetait cette parole: « donne-toi toi-même ». Car si un homme voulait te vendre un champ, il te dirait: Donne-moi ton or; ou à propos d’un autre objet, donne-moi ta monnaie, donne-moi ton argent. Écoute ce que te dit par la bouche de la Sagesse, l’amour: « Mon enfant, donne-moi ton coeur » (Proverbes, 23, 26); Mon enfant, donne-moi, dit-elle. Quoi? Ton coeur. Il était mal, quand il était en toi, quand il était à toi; tu étais la proie de futilités, de passions impures et funestes. Otes-le de là. Où le porter? Où l’offrir? Donne-moi ton coeur! Qu’il soit à moi, et tu ne le perdras pas. Regarde: a-t-il voulu rien laisser en toi qui puisse te rendre encore cher à toi-même? « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, dit-il, de tout ton coeur, de toute ton âme, et de toute ta pensée »? (Matthieu, 22, 37). Que reste-t-il de ton coeur, par où tu puisses t’aimer? Que reste-t-il de ton âme? Et de ta pensée? De tout, dit-il. Il t’exige tout entier, celui qui t’a fait. Mais ne t’attriste pas, comme si toute joie était morte en toi. Qu’Israël se réjouisse, non en elle-même, mais en celui qui l’a faite.

      8. Mais, répondras-tu, s’il ne me reste rien pour m’aimer, puisque de tout mon coeur, de toute mon âme, et de toute ma pensée, je suis tenu d’aimer celui qui m’a fait, comment puis-je obéir au second commandement, qui m’enjoint d’aimer mon prochain comme moi-même? Mais c’est par là plus encore que tu dois aimer ton prochain de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta pensée. Comment? Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Dieu de tout moi-même: mon prochain comme moi-même. Comment m’aimer? Comment t’aimer? Veux-tu savoir comment t’aimer? Ainsi t’aimes-tu: en aimant Dieu de tout toi-même. Crois-tu aider Dieu en l’aimant? A quoi lui sert l’amour que tu lui portes? Et si tu ne l’aimes pas, que perdra-t-il? C’est toi qui gagnes à l’aimer; tu seras là où tu ne peux mourir. Mais, diras-tu encore, quand ne me suis-je aimé? Non, non, tu ne t’aimais pas, quand tu n’aimais pas Dieu, qui t’a fait. Tu te haïssais, et tu croyais t’aimer! « Qui aime la violence, hait son âme! » (Psaumes, 11, 5).

      9. Adressons-nous à notre Seigneur, notre Dieu, notre Père tout-puissant, et d’un coeur pur, dans la mesure de notre petitesse, rendons-lui les plus grandes et les plus ardentes actions de grâces. Supplions de toute notre âme son incomparable bonté de bien vouloir accueillir nos prières, d’éloigner par sa puissance l’ennemi de nos actions et de nos pensées, d’augmenter notre foi, de diriger notre esprit, de lui inspirer des pensées spirituelles, et de nous conduire à sa joie! Par Jésus-Christ, son Fils, notre Seigneur, qui avec lui vit et règne dans l’unité de l’Esprit-Saint, Dieu, en tous les siècles des siècles. Amen.

Saint Augustin d’Hippone (+430)



Profession de foi – St Hilaire de Poitiers

Profession de foi

Traité de la Trinité (12, 52, 53, 57) – St Hilaire de Poitiers

Aussi longtemps que le permet la vie que tu m’as donnée, Père saint, Dieu tout-puissant, je veux te proclamer comme le Dieu éternel et comme l’éternel père. Je n’aurai jamais le ridicule ni l’impiété de m’établir juge de ta toute-puissance et de tes mystères, de faire passer ma faible connaissance avant la notion vraie de ton infinité et la foi en ton éternité. Jamais je n’affirmerai donc que tu aies pu exister sans ta Sagesse, ta Vertu, ton Verbe; l’unique Dieu engendré, mon Seigneur, Jésus-Christ.

La faible et imparfaite parole humaine n’aveugle pas les sens de ma nature à ton sujet, au point de réduire ma foi au silence, faute de mots possibles. Si déjà en nous la parole, la sagesse, la vertu sont l’oeuvre de notre mouvement intérieur, ton Verbe, ta Sagesse, et ta Vertu sont auprès de Toi, génération parfaite du Dieu parfait. Il demeure éternellement inséparable de Toi, celui qui apparaît dan les propriétés ainsi nommées, comme né de Toi. Il est né de manière à n’exprimer que Toi, son auteur; la foi en ton infinité demeure entière, si nous affirmons qu’il est né avant le temps éternel.

Déjà dans les choses de la nature nous ne connaissons pas les causes, sans pour autant ignorer les effets. Et nous faisons un acte de foi, quand ignore notre nature. Lorsque j’ai fixé ton ciel avec les faibles yeux de ma lumière, j’ai pensé qu’il ne pouvait être que Ton ciel. Quand je considère les courses stellaires, les retours annuels, les étoiles du printemps, l’étoile du nord, l’étoile du matin, le ciel où chaque astre joue un rôle propre, je te découvre, Toi, ô Dieu, en ce monde céleste, que mon intelligence ne peut étreindre.

Quand je vois les merveilleux mouvements de la mer, non seulement la nature imite, mais même le rythme mesuré des eaux est pour moi un mystère. J’ai cependant la foi de la raison naturelle, alors même que les apparences sont impénétrables. Au-delà des limites de mon intelligence, je retrouve encore ta Présence.

Lorsqu’en esprit je me tourne vers l’immensité des terres qui reçoivent toutes les semences, par des virtualités cachées les font germer, puis vivre et se multiplier, et, une fois multipliées, les affermissent dans leur croissance, je ne trouve rien en cela que mon intelligence puisse expliquer. Mais mon ignorance me permet de mieux te contempler, j’ignore la nature qui est à mon service, mais j’y reconnais ta Présence.

Moi-même je ne me reconnais pas: je t’admire d’autant plus que je me connais moins. J’expérimente, sans les connaître, le mécanisme de ma raison et la vie de mon esprit: et cette expérience, je la dois à Toi, qui, au-delà de l’intelligence des principes, dispense à ton gré, pour notre joie, le sens de la nature profonde.

Si je Te connais, tout en m’ignorant moi-même, si ma connaissance se change en vénération, je ne veux en rien en moi informer la foi en ta toute-puissance, laquelle me dépasse souverainement. Ainsi je ne puis prétendre concevoir l’origine de ton Fils, unique: ce serait vouloir m’établir en juge de mon Créateur et Dieu.

Conserve, je t’en prie, intact le respect de ma foi, et jusqu’à la fin de mon existence, donne-moi cette conscience de mon savoir, que je garde fermement ce que je possède, ce que j’ai professé dans le symbole de foi de ma régénération, lorsque j’ai été baptisé au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

Donne-moi de t’adorer, Toi, notre Père, et ton Fils avec Toi; d’être digne de l’Esprit-Saint, qui procède de Toi par le fils unique. De ma foi est témoin celui qui dit: Père, tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi. Mon Seigneur, Jésus-Christ, qui est en Toi, de Toi, auprès de Toi, sans cesser d’être Dieu, qui est loué dans les siècles des siècles. Amen.

Saint Hilaire de Poitiers (+367)



Sermon aux néophytes – St Jean Chrysostome

Sermon aux néophytes – Saint Jean Chrysostome

      Veux-tu connaître la puissance du sang de Jésus-Christ? Revenons à la figure qui l’annonce, aux événements anciens qui se passèrent en Égypte, et que raconte l’Écriture. A cette époque Dieu a voulu envoyer la dixième plaie aux Égyptiens et frapper la nuit tous les premiers-nés, vers minuit, parce qu’on retenait par force son premier-né, le peuple élu.

      Pour ne pas frapper le peuple juif en même temps que les Égyptiens – les deux habitant le même pays – il donna un signe distinctif, un signe merveilleux pour que tu discernes la puissance de la vérité signifiée. Déjà la colère de Dieu menace et l’on redoute l’ange exterminateur qui doit visiter toute demeure. C’est à ce moment que Moïse donne l’ordre: « Immolez un agneau d’un an, sans défaut, et de son sang marquez vos portes. » (Exode, 12, 7) Comment? Le sang d’un agneau peut-il sauver des hommes doués de raison? Certainement pas en tant qu’il est du sang, mais parce qu’il figure le sang du Maître. La statue de l’empereur inanimé et sans vie donne abri, selon le droit antique, à tout homme vivant qui s’y réfugie, non point parce qu’elle est en fonte, mais parce qu’elle représente l’empereur. Il en est de même du sang inanimé et sans vie de l’agneau, il peut sauver des âmes humaines, non point parce qu’il est du sang, mais parce qu’il figure le sang du Christ. L’ange exterminateur en voyant le sang de l’agneau sur les portes passait et n’osait pas entrer, à plus forte raison l’ennemi se tiendra-t-il à distance en apercevant non le sang de l’agneau aux linteaux des portes, mais le sang véritable du Christ aux lèvres des fidèles, aux portes des temples vivants de Dieu? Si l’ange craignait déjà la figure, à plus forte raison le démon fuit-il la réalité!

      Veux-tu connaître encore mieux la puissance du sang du Christ, souviens-toi de son origine. Il a coulé du côté du Maître en croix. Quand Jésus eut expiré, encore en croix, raconte l’Écriture, un soldat vint et lui ouvrit le côté avec une lance. « Il en coula de l’eau et du sang » (Jean, 19, 34). L’eau symbolise le baptême, le sang est la figure de l’Eucharistie. Voilà pourquoi il est écrit: il coula du sang et de l’eau, mais d’abord de l’eau, puis du sang. Nous sommes d’abord lavés dans le baptême, puis gratifiés du sacrement eucharistique.

      La lance du soldat ouvrit le côté et brisa le mur du temple saint. Voici, j’y ai trouvé un trésor de grâce. Il en fut de même de l’agneau pascal. Les Juifs immolaient l’agneau, et nous, nous avons cueilli le fruit de la figure: Du côté coula du sang et de l’eau.

      Ne passe pas à pieds joints sur cet épisode, riche de significations et considère un autre mystère qui s’y cache. J’ai dit l’eau et le sang sont les symboles du baptême et de l’Eucharistie. Dans les deux sacrements, le bain de la nouvelle naissance et le mystère eucharistique qui tirent leur origine du côté transpercé du Christ, est fondée l’Église.

      De ce côté ouvert Jésus a bâti l’Église, comme Ève à tire son origine du côté d’Adam. Voilà pourquoi Paul a pu écrire: « Nous sommes de sa chair et de ses os » (Éphésiens, 5, 30), en pensant à la plaie du côté. Dieu a pris le côté du flanc d’Adam pour former la femme, le Christ même nous donne sang et eau de son côté pour former l’Église. De même que Dieu avait pris la côté d’Adam pendant qu’il dormait, en extase, de même Jésus nous donne sang et eau, après s’être endormi dans la mort. Là le sommeil d’Adam, ici le sommeil de la mort.

      Voyez donc combien le Christ est uni à son épouse. Voyez avec quelle nourriture il nous rassasie. Il est lui-même notre nourriture et notre festin. Comme une femme nourrit son enfant de son lait maternel, en quelque sorte avec son propre sang, ainsi le Christ nourrit sans cesse ceux à qui il a donné la vie de la nouvelle naissance, au prix de son propre sang.

Saint Jean Chrysostome (+ vers 407)   



Priez le maître d’envoyer des ouvriers pour sa maison

      Ceux qui n’ont pas encore reçu l’Évangile, sous des formes diverses, eux aussi sont ordonnés, au peuple de Dieu. Et, en premier lieu, ce peuple qui reçut les alliances et les promesses, et dont le Christ est issu selon la chair, peuple très aimé du point de vue de l’élection, à cause des pères, car Dieu ne regrette rien de ses dons ni de son appel.

      Mais le dessein de salut enveloppe également ceux qui reconnaissent le Créateur, en tout premier lieu les musulmans qui professent avoir la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux, futur juge des hommes au dernier jour.

      Et même des autres, qui cherchent encore dans les ombres et sous des images un Dieu qu’ils ignorent, Dieu n’est pas loin, puisque c’est lui qui donne à tous vie, souffle et toutes choses, et puisqu’il veut, comme Sauveur, que tous les hommes soient sauvés.

Concile de VATICAN II   



Le règne de Dieu est tout proche de vous – S. Cyrille d’Alexandrie

      Le Seigneur avait choisi douze disciples et les avait appelés Apôtres; puis il en avait désigné soixante-dix autres et les avait envoyés le précéder et pénétrer avant lui dans tous les villages et les bourgs de Judée, en le proclamant, lui et ce qui le concerne. Il les envoya, bien pourvus des qualités apostoliques, et les présenta, gratifiés du don d’agir reçu de l’Esprit Saint. Il leur avait donné sur les esprits impurs assez de pouvoir pour les chasser. Ces disciples, après avoir accompli beaucoup de signes, sont revenus en disant: Seigneur, les démons eux-mêmes nous sont soumis en ton nom (Lc 10, 17). C’est pour cela que le Christ, parfaitement conscient que ses envoyés avaient fait du bien à beaucoup de gens et avaient éprouvé mieux que les autres sa propre gloire, fut rempli de joie et d’exultation. Étant bon, amoureux des hommes et désireux qu’ils soient tous sauvés, il s’est réjoui de la conversion des égarés, de l’illumination de ceux qui se trouvaient dans les ténèbres et du retour des ignorants et des révoltés à la connaissance de sa gloire…

S. Cyrille d’Alexandrie (+ 444)
Saint Cyrille, évêque d’Alexandrie et docteur de l’Église,
participa au concile d’Éphèse (431), qui donna à Marie le titre de « Mère de Dieu ».



Le Christ s’est fait homme pour l’homme – St. Pierre Chrysologue

Le Christ s’est fait homme pour l’homme

      Le Christ a donné à l’homme d’être en réalité ce qu’il n’était auparavant que par ressemblance…

      Pour cela le Christ a assumé l’enfance et accepté d’être nourri. Il s’est inséré dans le temps pour instaurer le seul âge parfait, l’âge qui demeure, l’âge que lui-même avait fait. Il porte l’homme afin que l’homme ne puisse plus tomber. Celui qu’il avait créé terrestre, il le fait devenir céleste. Celui qu’animait un esprit humain, il lui donne la vie de l’Esprit de Dieu. Il le transporte tout entier en Dieu au point que ce qu’il y avait en lui de péché, de mort, de peine, de douleur, de purement terrestre, il n’en reste plus rien, grâce à notre Seigneur Jésus Christ qui vit et règne avec le Père en l’unité du Saint Esprit, car il est Dieu, maintenant et toujours pour l’immortalité des siècles des siècles.

St. Pierre CHRYSOLOGUE   
+ 450, archevêque de Ravenne.



L’ÉGLISE, VILLE DES PAUVRES – St Vincent de Paul

Tous les hommes composent un corps mystique; nous sommes tous membres les uns des autres. On n’a jamais ouï (=entendu) qu’un membre, non pas même dans les animaux, ait été insensible à la douleur d’un autre membre, qu’une partie de l’homme soit froissée, blessée ou violentée, et que les autres ne s’en ressentent pas. Cela ne se peut. Tous nos membres ont tant de sympathie et de liaison ensemble que le mal de l’un est le mal de l’autre. À plus forte raison, les chrétiens, étant membres d’un même corps et membres les uns des autres, se doivent-ils de compatir. Quoi! être chrétien et voir son frère affligé, sans pleurer avec lui, sans être malade avec lui! C’est être sans charité; c’est être chrétien en peinture; c’est n’avoir point d’humanité; c’est être pire que les bêtes (XII, 271)

St Vincent de Paul