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Jésus ne veut pas être seul dans le Royaume – Origène

      Mon Sauveur, encore maintenant, pleure mes péchés.
      Il est dans la tristesse, tant que nous persistons dans l’erreur. Si son Apôtre pleure sur certains qui ont péché jadis et n’ont pas fait pénitence pour leurs actes (2Co 12, 21), que dire de lui, qu’on appelle Fils de l’Amour (Col 1, 13), qui s’est anéanti (Ph 2, 7) à cause de l’amour qu’il avait pour nous, et n’a pas cherché son avantage (1 Co 13, 5), bien qu’il fût égal à Dieu, mais a cherché notre bien, et pour cela s’est vidé de lui-même (Ph 2, 6-7)? Après avoir ainsi cherché notre bien, cesse-t-il maintenant de nous chercher, de penser à notre bien, de s’attrister de nos errements, de pleurer notre perte et nos blessures, lui qui a pleuré sur Jérusalem?

      Je ne boirai plus du fruit de cette vigne, dit-il, jusqu’au jour où je le boirai avec vous, un vin nouveau (Mt 26, 29). Il ne veut donc pas être seul dans le royaume à boire le vin; il nous attend. Il attend l’allégresse. Jusqu’à quand attend-il? Lorsque j’aurai achevé ton oeuvre (Jn 17, 4), dit-il. Quand achève-t-il cette oeuvre? Quand moi, qui suis le dernier et le pire de tous les pécheurs, il m’aura achevé et rendu parfait, alors « il achève son oeuvre »; maintenant son oeuvre est encore imparfaite, tant que moi je demeure imparfait.

Origène (+ vers 254) Père de l’Eglise.



Sur le chemin de la Sainteté – Origène

      Il n’est pas vrai, comme certains le pensent, que, dès qu’on devient un saint, on ne puisse pus pécher et qu’on doive, du coup, être considéré comme exempt de péché. Si le saint ne péchait pas, il ne serait pas écrit: Vous prendrez les péchés des saints (Nb 18, 1).

      On appelle saints, – et ce sont aussi des pécheurs – ceux qui se sont consacrés à Dieu et ont soustrait leur vie à l’état commun pour le service du Seigneur.

      Mais il peut arriver que, dans le service même du Seigneur, [le saint] ne se conduise pas en tout comme il le devrait, qu’il se relâche en quelque occasions et qu’il pèche.

      Or celui qui se sépare et se soustrait aux autres activités pour cultiver une science, par exemple la médecine ou la philosophie, ne devient pas, dès qu’il aborde ces disciplines, parfait au point de ne pas commettre d’erreur; bien plutôt, c’est en se trompant maintes et maintes fois qu’il parviendra à grand-peine, un jour, à la perfection; pourtant, dès qu’il s’est adonné à ces études, on le compte sans hésiter au nombre des médecins ou des philosophes.

      Il en va de même pour les saints; à partir du moment où quelqu’un s’engage dans les études de la sainteté, on doit l’appeler saint du fait qu’il s’est proposé de le devenir. Mais comme il commettra nécessairement des fautes en maintes occasions, jusqu’à ce que l’exercice, l’étude et le zèle aient, en lui, retranché l’habitude du péché, on l’appellera aussi un pécheur.

Origène (+ v.254) Père de l’Église



Le sacrifice d’Abraham – Origène

Le sacrifice d’Abraham* – Origène (+253/54)

*Homélie 8 sur la Genèse. P. G., 12, 203. Le texte grec est perdu. Il ne reste que la version latine de Rufin.

      1. Prêtez ici l’oreille, vous qui êtes venus auprès du Seigneur, qui prétendez être fidèles; mettez tous vos soins à considérer, dans le récit qui vous a été lu, comment la foi des fidèles est mise à l’épreuve. Il arriva, dit l’Écriture, après ces paroles, que Dieu éprouva Abraham et lui dit: Abraham, Abraham. Et celui-ci lui répondit: Me voici. Considère chaque détail de l’Écriture. Pour qui sait creuser profond, chacun renferme un trésor. Là même où peut-être on s’y attend le moins, se cachent les joyaux précieux des mystères.

      L’homme dont nous parlons s’appelait d’abord Abram. Nous ne lisons nulle part que Dieu l’ait appelé de ce nom ou lui ait dit: Abram, Abram. Dieu ne pouvait l’appeler du nom qu’il allait supprimer. Il l’appelle du nom qu’il lui a donné. Il ne se contente pas de lui donner ce nom, il le répète. A sa réponse: Me voici, Dieu poursuit: Prends Isaac, ton fils très cher que tu aimes, et tu me l’offriras. Va, ajouta-t-il, en un lieu élevé, et tu me l’offriras en holocauste, sur une montagne que je t’indiquerai.

      Dieu lui-même expliqua le nom d’Abraham qu’il lui donna: « Car, dit-il, je t’ai établi père d’une multitude de peuples » (Genèse, 17, 5). Dieu lui fit cette promesse, alors qu’il n’avait comme fils qu’Ismaël; mais il lui donna l’assurance que la promesse se réaliserait, quand Sara lui donnerait un fils. Il avait allumé en son coeur l’amour paternel, non seulement en lui donnant une postérité, mais en lui faisant espérer l’accomplissement des promesses.

      Et voici que ce fils qui porte des promesses si grandes et si merveilleuses, ce fils, dis-je, qui lui a valu le nom d’Abraham, il lui est demandé de l’offrir en holocauste au Seigneur sur une des montagnes.

      Qu’en dis-tu, Abraham? Quelles pensées bouleversent ton coeur? La voix de Dieu a parlé pour ébranler ta foi et l’éprouver. Qu’en dis-tu? Qu’en penses-tu? Est-ce que tu te ravises? Tu te dis peut-être, en ton coeur, en réfléchissant: Si la promesse m’a été donnée en Isaac, et que je l’offre maintenant en holocauste, il ne me reste donc plus de promesse à attendre? Ne penses-tu pas bien plutôt: il est impossible, te dis-tu, que celui qui a fait la promesse ait menti. Quoi qu’il arrive, la promesse demeurera.

      Moi, il est vrai, je suis bien trop petit, je ne suis pas à même de scruter les pensées d’un si grand patriarche. Jamais je ne connaîtrai les réflexions, les sentiments qui ont aginté son coeur, quand la voix de Dieu l’a mis à l’épreuve, en lui ordonnant d’immoler son fils unique. Mais comme l’esprit des prophètes est soumis aux prophètes (1Corinthiens, 14, 32), l’apôtre Paul a connu, je crois, par l’Esprit, les sentiments et les réflexions d’Abraham. Il les précise, quand il écrit: Dans sa foi, Abraham n’hésita point quand il offrit son fils unique, sur qui reposait la promesse; il se dit que Dieu est assez puissant pour ressusciter les morts (Hébreux, 11, 17).

      L’Apôtre nous a donc livré les pensées de cet homme de foi; la foi en la résurrection est apparue pour la première fois, avec l’histoire d’Isaac. Abraham espérait qu’Isaac allait ressusciter; il a eu foi que se réaliserait ce qui n’était pas encore accompli. Comment peuvent-ils être fils d’Abraham ceux qui ne croient pas accompli dans le Christ ce qu’Abraham a cru devoir s’accomplir en Isaac? Et même, pour parler plus clairement, Abraham savait qu’il préfigurerait la vérité à venir, il savait que, de sa postérité, naîtrait le Christ, qui serait réellement offert en victime pour l’univers entier et ressusciterait d’entre les morts.

      2. Or, dit l’Écriture, Dieu éprouverait Abraham et lui commanda: Prends ton fils très cher, celui que tu aimes. Il ne se contente pas de dire: ton fils, mais il ajoute très cher. Passons! mais pourquoi ajouter celui que tu aimes? Songe combien lourde est l’épreuve. Ces appellations d’amour et de tendresse encore et toujours répétées rendent plus vifs les sentiments d’un père: le souvenir vivant de cet amour fait hésiter la main du père, qui doit immoler son fils; toute la cohorte de la chair se dresse contre la foi de l’esprit. A l’heure de l’épreuve, il entend: Prends donc ton fils très cher, dit-il, celui que tu aimes, Isaac.

      Passe encore, Seigneur, que tu fasses mémoire d’un fils à son père, mais tu appelles très cher celui que tu ordonnes d’immoler! C’en est assez pour le supplice du père! Tu ajoutes encore: celui que tu aimes. Ce qui rend le supplice pour le père trois fois plus grand. A quoi bon en rappeler le nom: Isaac? Abraham pouvait-il ignorer que son fils très cher, celui qu’il aimait, s’appelait Isaac? Pourquoi le rappeler à cette heure? Pour qu’Abraham se souvienne que tu lui avais dit: en Isaac résidera ta descendance qui perpétuera ton nom (Genèse, 21, 1). En Isaac se réaliseront pour toi les promesses. Il rappelle le nom pour mettre en doute les promesses faites en ce nom. Tout cela, pour éprouver la foi d’Abraham.

      3. Qu’y a-t-il après? Va-t-en, lui dit-il, en un lieu élevé sur une des montagnes que je te montrerai. Là tu immoleras l’holocauste. Considérez par le détail la progression de l’épreuve. Va-t-en en un lieu élevé. Pourquoi ne pas conduire Abraham avec l’enfant en ce lieu élevé et lui désigner la montagne choisie par le Seigneur, et là lui demander d’offrir son fils? Mais non: Il lui est d’abord demandé d’offrir son fils, puis de se rendre en un lieu élevé et là de gravir une montagne. Dans quelle intention?

      Pour qu’en route, chemin faisant, il soit, tout au long du parcours, tiraillé par ses réflexions, qu’il soit tour à tour écartelé par l’ordre qui le presse et par l’amour de son fils unique qui se révolte. Voilà pourquoi il doit faire la route, gravir la montagne, pour donner, tout au long du trajet, le temps de s’affronter à son coeur et à sa foi, à l’amour de Dieu et à l’amour de la chair, à la joie de ce qui est présent et à l’attente des biens futurs.

      Il lui faut aller en un lieu élevé. Il ne suffit pas au patriarche pour accomplir une si grande oeuvre au nom du Seigneur, de se rendre en un lieu élevé; il lui faut gravir une montagne, ce qui veut dire: il lui faut quitter, porté par la foi, les choses de la terre pour monter vers celles d’en haut.

      4. Abraham se leva donc de bon matin, sella son ânesse et fendit le bois de l’holocauste. Il prit avec lui son fils Isaac et deux serviteurs; il parvint au lieu que Dieu lui avait fixé le troisième jour. Abraham se leva le matin. En ajoutant le matin, l’Écriture veut peut-être montrer que l’aube de la lumière brillait déjà dans son coeur. Il sella son ânesse, prépara le bois et prit son fils. Il ne délibère pas, ne tergiverse pas, ne parle à personne de son dessein, mais immédiatement se met en route.

      Et il parvint au lieu que Dieu lui avait fixé le troisième jour. Pour le moment, je laisse de côté le mystère exprimé par le troisième jour, pour ne considérer que la sagesse et le dessein de celui qui met à l’épreuve. Les alentours ne présentaient pas de montagne, alors que tout devait se passer sur les sommets; la route se prolonge donc pendant trois jours, trois jours durant lesquels les inquiétudes l’assaillent, sa tendresse de père est torturée. Et tout au long de cette attente, le père peut contempler son fils à loisir, il prend avec lui ses repas, se blottit contre sa poitrine, repose contre son coeur. Voyez: l’épreuve est à son comble.

      Le troisième jour est toujours plein de mystères. Le peuple qui sortit de l’Égypte, le troisième jour offre à Dieu un sacrifice, le troisième jour il se purifie. La résurrection du Seigneur a lieu le troisième jour. Ce jour renferme bien d’autres mystères…

Origène (+253/54)