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Jugement Dernier – Sermon de St Jean-Marie VIANNEY

SERMONS

DU SAINT SERVITEUR DE DIEU,

JEAN -BAPTISTE -MARIE VIANNEY

CURÉ D’ARS

1er DIMANCHE DE L’AVENT
(PREMIER SERMON)

Sur le JUGEMENT DERNIER

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Tunc videbunt Filium hominis venientem cum potestate magna et majestate.
Alors ils verront venir le Fils de l’homme avec une grande puissance et une majesté terrible, environné des anges et des saints.
(S. Luc, XXI, 27.)

Ce n’est plus, mes frères, un Dieu revêtu de nos infirmités ; caché dans l’obscurité d’une pauvre étable, couché dans une crèche, rassasié d’opprobres, accablé sous le pesant fardeau de sa croix ; c’est un Dieu revêtu de tout l’éclat de sa puissance et de sa majesté, qui fait annoncer sa venue par les prodiges les plus effrayants, c’est-à-dire, par l’éclipse du soleil et de la lune, par la chute des étoiles, et par un entier bouleversement de la nature. Ce n’est plus un Sauveur qui vient avec la douceur d’un agneau, pour être jugé par les hommes et les racheter ; c’est un Juge justement irrité, qui juge les hommes dans toute la rigueur de sa justice. Ce n’est plus un Pasteur charitable qui vient chercher ses brebis égarées, et les pardonner ; c’est un Dieu vengeur qui vient séparer pour jamais les pécheurs des justes, accabler les méchants de sa plus terrible vengeance, et ensevelir les justes dans un torrent de douceurs. Moment terrible, moment épouvantable, moment malheureux, quand arriveras-tu ? Hélas ! peut-être que, dans quelques matins, nous entendrons les avant-coureurs de ce Juge si redoutable au pécheur. Ô vous, pécheurs, sortez du tombeau de vos péchés, venez au tribunal de Dieu, venez vous instruire de la manière dont le pécheur sera traité. L’impie, dans ce monde, semble vouloir méconnaître la puissance de Dieu, en voyant les pécheurs sans punition ; il va même jusqu’à dire : Non, non, il n’y a ni Dieu ni enfer ; ou bien : Dieu ne fait pas attention à ce qui se passe sur la terre. Mais, attendons le jugement, et, en ce grand jour, Dieu manifestera sa puissance et montrera à toutes les nations qu’il a tout vu et tout compté.
Quelle différence, mes frères, de ces merveilles à celles qu’il opéra en créant le monde ! Que les eaux, dit le Seigneur, arrosent, fertilisent la terre ; et, dès l’instant même, les eaux couvrirent la terre et lui donnèrent la fécondité. Mais, quand il viendra pour détruire le monde, il commandera à la mer de franchir ses bornes avec une impétuosité épouvantable, et elle engloutira tout l’univers dans sa fureur. Lorsque Dieu créa le ciel, il ordonna aux étoiles de s’attacher au firmament ; à sa voix, le soleil éclaira le jour, et la lune présida à la nuit ; mais dans ce dernier Jour, le soleil s’obscurcira, et la lune et les étoiles ne donneront plus de lumière ; tous ces astres merveilleux tomberont avec un fracard épouvantable.
Quelle différence, M.F. ! Dieu en créant le monde employa six jours ; mais pour le détruire, un clin d’œil suffira. Pour créer l’univers et tout ce qu’il renferme, Dieu n’appela aucun spectateur de tant de merveilles ; mais pour le détruire, tous les peuples seront en présence, toutes les nations confesseront qu’il y a un Dieu et qu’il est puissant. Venez, rieurs impies, venez, incrédules raffinés, venez apprendre ou reconnaître s’il y a un Dieu, s’il a vu toutes vos actions, et s’il est tout-puissant ! Ô mon Dieu ! que le pécheur changera de langage dans ce moment ! que de regrets ! Oh ! que de repentir d’avoir laissé passer un temps si précieux ! Mais ce n’est plus temps, tout est fini pour le pécheur, tout est désespéré ! Oh ! que ce moment sera terrible ! Saint Luc nous dit que les hommes sécheront de frayeur sur la plante de leurs pieds, en pensant aux malheurs qui leur sont préparés. Hélas ! M.F., l’on peut bien sécher de crainte et mourir de frayeur, dans l’attente d’un malheur infiniment moins grand que n’est celui dont le pécheur est menacé, et qui très certainement lui arrivera, s’il continue à vivre dans le péché.
Dans ce moment, M.F., que je me dispose à vous parler du jugement, où nous paraîtrons tous, pour rendre compte de tout, du bien et du mal que nous aurons fait, pour y recevoir notre sentence définitive pour le ciel ou pour l’enfer : si déjà un ange venait vous annoncer de la part de Dieu que, dans vingt-quatre heures, tout l’univers sera réduit en feu par une pluie de feu et de soufre, que vous commenciez à entendre les tonnerres gronder, les fureurs des tempêtes renverser vos maisons, les éclairs tellement multipliés que l’univers ne fût plus qu’un globe de feu, et que l’enfer vomit déjà tous ses réprouvés dont les cris et les hurlements se feraient entendre vers les coins du monde ; que le seul moyen d’éviter tous ces malheurs fût de quitter le péché et de faire pénitence ; pourriez-vous, M.F., entendre tous ces hommes sans verser des torrents de larmes et crier miséricorde ? Ne vous verrait-on pas vous jeter au pied des autels pour demander miséricorde ? Ô aveuglement, ô malheur incompréhensible de l’homme pécheur ! les maux que vous annonce votre pasteur sont encore infiniment plus épouvantables et dignes d’arracher vos larmes, de déchirer vos cœurs. Hélas ! ces vérités si terribles vont être autant de sentences qui prononceront votre condamnation éternelle. Mais le plus grand de tous les malheurs est que vous y soyez insensibles, et que vous continuiez à vivre dans le péché ; et que vous ne reconnaissiez votre folie que dans le moment où vous n’avez plus de remèdes. Encore un moment, et ce pécheur, qui vivait tranquille dans le péché, sera jugé et condamné ; encore un instant, et, il emportera ses regrets dans l’éternité. Oui, M.F., nous serons jugés, rien de si certain ; oui, nous serons jugés sans miséricorde ; oui, nous regretterons éternellement d’avoir péché.

I – Nous lisons dans l’Écriture sainte, M.F., que toutes les fois que Dieu a voulu envoyer quelque fléau au monde ou à son Église, il a toujours fait précéder quelque signe pour commencer à jeter la terreur dans les cœurs, et pour les porter à fléchir sa justice. Voulant faire périr l’univers par un déluge, l’arche de Noé, qui resta cent ans pour se bâtir, fut un signe pour porter les hommes à la pénitence, sans quoi ils devaient tous périr. L’historien Josèphe nous dit qu’avant la destruction de la ville de Jérusalem, il parut pendant longtemps une comète en forme de coutelas qui jetait la consternation dans le monde. Chacun disait : Hélas ! que veut dire ce signe ? peut-être c’est quelque grand malheur que Dieu va nous envoyer. La lune demeura huit nuits sans donner de lumière ; les gens semblaient déjà ne plus pouvoir vivre. Tout à coup, il parut un homme inconnu, qui, pendant trois ans, ne faisait autre chose que crier par les rues de Jérusalem, le jour et la nuit : Malheur à Jérusalem ! Malheur à Jérusalem !… On le prend, on le bat de verges pour l’empêcher de crier : rien ne l’arrête. Au bout de trois ans, il s’écrie : Ah ! malheur à Jérusalem ; ah ! malheur à moi ! Une pierre lancée par une machine lui tombe dessus et l’écrase à l’instant même. Alors, tous les maux dont cet inconnu avait menacé Jérusalem tombèrent sur elle. La famine fut si grande, que les mères allaient jusqu’à égorger leurs enfants pour s’en servir de nourriture. Les habitants, sans savoir pourquoi, s’égorgeaient les uns les autres ; la ville fut prise et comme anéantie ; les rues et les places étaient toutes couvertes de cadavres ; le sang coulait comme des rivières ; le peu de ceux qui sauvèrent leur vie fut vendu comme des esclaves.
Mais, comme le jour du jugement sera le jour le plus terrible et le plus effrayant qui ait jamais été, il sera précédé de signes si effrayants qu’ils jetteront la terreur jusqu’au fond des abîmes. Notre-Seigneur nous dit que, dans ce moment malheureux pour le pécheur, le soleil ne donnera plus de lumière, que la lune sera semblable à une masse de sang, et que les étoiles tomberont du ciel. L’air sera tellement rempli d’éclairs qu’il sera tout en feu, et l’on entendra les tonnerres dont le bruit sera si grand que les hommes sécheront de frayeur sur la plante de leurs pieds. Les vents seront si impétueux que rien ne pourra leur résister. Les arbres et les maisons seront entraînés dans les chaos de la mer1 ; la mer elle-même sera tellement agitée par les tempêtes, que ses flots s’élèveront jusqu’à quatre coudées au-dessus des plus hautes montagnes, et ils descendront si bas, que l’on verra les horreurs de l’enfer ; toutes les créatures, même inanimées, sembleront vouloir s’anéantir pour éviter la présence de leur Créateur, en voyant combien les crimes des hommes ont souillé et défiguré la terre. Les eaux des mers et des fleuves bouillonneront comme des huiles dans les brasiers ; les arbres et les plantes vomiront des torrents de sang ; les tremblements de terre seront si grands que l’on verra la terre s’ouvrir de toutes parts ; la plupart des arbres et des bêtes seront abîmés, les hommes qui resteront seront comme des insensés ; les rochers, les montagnes s’écrouleront avec une fureur épouvantable. Après toutes ces horreurs, le feu sera allumé aux quatre coins du monde, mais, un feu si violent qu’il brûlera les pierres, les rochers et la terre, comme un brin de paille qui est jeté dans une fournaise. Tout l’univers sera réduit en cendres ; il faut que cette terre, qui a été souillée par tant de crimes, soit purifiée par le feu qui sera allumé par la colère du Seigneur, par la colère d’un Dieu justement irrité.
Après, M.F., que cette terre couverte de tant de crimes aura été purifiée, Dieu enverra ses anges qui sonneront de la trompette aux quatre coins du monde, et qui diront à tous les morts : Levez-vous, morts, sortez de vos tombeaux, venez et paraissez au jugement. Alors tous les morts, bons et mauvais, justes et pécheurs, reprendront les mêmes formes qu’ils avaient autrefois, la mer vomira tous les cadavres qui sont renfermés dans ses chaos, la terre rejettera tous les corps ensevelis depuis tant de siècles dans son sein. Après cette révolution, toutes les âmes des saints descendront du ciel, toutes rayonnantes de gloire ; chaque âme s’approchera de son corps en lui donnant mille et mille bénédictions : Venez, lui dira-t-elle, venez, le compagnon de mes souffrances ; si vous avez travaillé à plaire à Dieu, si vous avez fait consister votre bonheur dans les souffrances et les combats, oh ! que de biens nous sont réservés ! Il y a plus de mille ans que je jouis de ce bonheur ; oh ! quelle joie pour moi de venir vous annoncer tant de biens qui nous sont préparés pour l’éternité ! Venez, bénis yeux, qui tant de fois vous êtes fermés à l’aspect des objets impurs, par crainte de perdre la grâce de votre Dieu, venez dans le ciel où vous ne verrez que des beautés que l’on ne verrait jamais en ce monde. Venez, mes oreilles, qui avez eu horreur des paroles et des discours impurs et calomniateurs ; venez, et vous entendrez dans le ciel cette musique céleste, qui vous jettera dans un ravissement continuel. Venez, mes pieds et mes mains, qui, tant de fois, vous êtes employés à soulager les malheureux ; allons passer notre éternité dans ce beau ciel où nous verrons notre aimable et charitable Sauveur qui nous a tant aimés. Ah ! nous y verrons Celui qui tant de fois est venu reposer dans notre cœur. Ah ! nous y verrons cette main, encore teinte du sang de notre divin Sauveur, par laquelle il nous a mérité tant de joie. Enfin, le corps et l’âme, des saints se donneront mille et mille bénédictions, et cela pendant toute l’éternité.
Après que tous les saints auront repris leurs corps tout rayonnants de gloire, tous là, selon les bonnes œuvres et les pénitences qu’ils auront faites, attendront avec plaisir le moment où Dieu va dévoiler à la face de tout l’univers toutes les larmes, toutes les pénitences, tout le bien qu’ils auront accompli pendant leur vie, sans même en laisser une seule, ni un seul, déjà tous heureux du bonheur de Dieu même. Attendez, leur dira Jésus-Christ lui-même, attendez, je veux que tout l’univers voie combien vous avez travaillé avec plaisir. Les pécheurs endurcis, les incrédules disaient que j’étais indifférent à tout ce que vous faisiez pour moi ; mais je vais leur montrer aujourd’hui que j’ai vu et compté toutes les larmes que vous versiez dans le fond des déserts ; je vais leur montrer aujourd’hui que j’étais à côté de vous sur les échafauds. Venez tous, et paraissez devant ces pécheurs qui m’ont méprisé et outragé, qui ont osé nier que j’existais, que je les voyais. Venez, mes enfants, venez, mes bien-aimés, et vous verrez combien j’ai été bon, combien mon amour a été grand pour vous.
Contemplons, M.F., un instant, ce nombre infini d’âmes justes rentrant dans leurs corps qu’elles rendent semblables à de beaux soleils. Vous verrez tous ces martyrs, la palme à la main. Voyez-vous toutes ces vierges, la couronne de la virginité sur la tête ? Voyez-vous tous ces apôtres, tous ces prêtres ? Autant ils ont sauvé d’âmes, autant de rayons de gloire dont ils sont embellis. M.F., tous diront à Marie, cette Mère-Vierge : Allons rejoindre Celui qui est dans le ciel pour donner un nouvel éclat à vos beautés.
Mais non, un moment de patience ; vous avez été méprisés, calomniés et persécutés des méchants, il est juste, avant votre entrée dans ce royaume éternel, que les pécheurs viennent vous faire amende honorable.

II. – Mais, terrible et effrayante révolution ! j’entends la même trompette qui crie aux réprouvés de sortir des enfers. Venez, pécheurs, bourreaux et tyrans, dira Dieu qui voulait tous vous sauver, venez, paraissez au tribunal du Fils de l’homme ; de celui dont vous avez si souvent osé vous persuader qu’il ne vous voyait, ni ne vous entendait ! venez et paraissez, car tout ce que vous avez jamais commis sera manifesté en face de tout l’univers. Alors l’ange criera : Abîmes des enfers, ouvrez vos portes ! vomissez tous ces réprouvés ! leur juge les appelle. Ah ! terrible moment ! toutes ces malheureuses âmes réprouvées, horribles comme des démons, sortiront des abîmes, iront, comme des désespérés, chercher leurs corps. Ah ! cruel moment ! dans l’instant où l’âme entrera dans son corps, ce corps éprouvera toutes les rigueurs de l’enfer. Ah ! ce maudit corps, ces maudites âmes se donneront mille et mille malédictions. Ah ! maudit corps, dira l’âme à son corps qui l’a roulée et traînée dans la fange de ses impuretés il y a déjà plus de mille ans que je souffre et que je brûle dans les enfers. Venez, maudits yeux, qui tant de fois avez pris plaisir à faire des regards déshonnêtes sur vous ou sur d’autres, venez en enfer pour y contempler les monstres les plus horribles. Venez, maudites oreilles, qui avez pris tant de plaisir à ces paroles, à ces discours impurs, venez éternellement entendre les cris, les hurlements et les rugissements des démons. Venez, maudite langue et maudite bouche, qui tant de fois avez donné des baisers impurs et qui n’avez rien épargné pour contenter votre sensualité et votre gourmandise ; venez en enfer, où vous n’aurez que le fiel des dragons pour nourriture. Viens, maudit corps, que j’ai tant cherché à contenter ; viens, tu seras étendu, pendant l’éternité, dans un étang de feu et de soufre, allumé par la puissance et la colère de Dieu ! Ah ! qui pourra comprendre et nous raconter les malédictions que le corps et l’âme vont se vomir pendant toute l’éternité ?
Oui, M.F., voilà tous les justes et les réprouvés qui ont repris leur ancienne forme, c’est-à-dire, leurs corps tels que nous les voyons maintenant, qui attendent leur juge ; mais un juge juste et sans compassion, pour récompenser ou punir, selon le bien et le mal que nous aurons fait. Le voilà qui arrive, assis sur un trône, éclatant de gloire, environné de tous les anges, et l’étendard de sa croix marchant devant lui. Les damnés voyant leur juge ; ah ! que dis-je ? voyant celui qu’ils n’ont vu crucifié que pour leur procurer le bonheur du paradis, et qui, malgré lui se sont damnés : Montagnes, s’écrieront-ils, écrasez-nous, arrachez-nous de la face de notre juge ; rochers, tombez sur nous ; ah ! de grâce, précipitez-nous dès maintenant dans les enfers ! – Non, non, pécheur : avance et viens rendre compte de toute ta vie. Avance, malheureux ; qui as tant méprisé un Dieu si bon ! – Ah ! mon juge, mon père, mon créateur, où sont mon père, ma mère qui m’ont damné ? ah ! je veux les voir ; ah ! je veux leur demander le ciel qu’ils m’ont laissé perdre. Mon père et ma mère, c’est vous qui m’avez damné ; c’est vous qui êtes cause de mon malheur. – Non, non, avance vers le tribunal de ton Dieu, tout est perdu pour toi. – Ah ! mon juge, s’écriera cette jeune fille…, où est ce libertin qui m’a ravi le ciel ? – Non, non, avance : il n’y a plus de recours, tu es damnée ! plus d’espérance pour toi : oui, tu es perdue ; oui, tout est perdu, puisque tu as perdu ton âme et ton Dieu. Ah ! qui pourra comprendre le malheur d’un damné qui verra vis-à-vis de lui, c’est-à-dire, du côté des saints, un père ou une mère tout rayonnants de gloire et adjugés pour le ciel ; et se verra, lui, réservé pour l’enfer ! Montagnes, diront ces réprouvés, arrachez-vous ; ah ! de grâce, tombez-nous dessus ! Ah ! portes des abîmes, ouvrez-vous pour nous cacher ! – Non, pécheur, tu as toujours méprisé mes commandements ; mais c’est aujourd’hui que je veux te montrer que je suis ton maître. Parais devant moi avec tous tes crimes dont ta vie n’est qu’un tissu. Ah ! c’est alors, nous dit le prophète Ézéchiel, que le Seigneur prendra cette grande feuille miraculeuse, où sont écrits et consignés tous les crimes des hommes. Combien de péchés qui n’ont jamais paru aux yeux de l’univers et qui vont paraître ! Ah ! tremblez, vous qui, peut-être depuis quinze ou vingt ans, avez accumulé péchés sur péchés ! Ah ! malheur à vous !
Alors Jésus-Christ, le livre des consciences à la main, appellera tous les pécheurs pour les convaincre de tous les péchés qu’ils auront commis pendant toute leur vie, d’un ton de tonnerre épouvantable : Venez, impudiques, leur dira-t-il, approchez et lisez jour par jour ; voilà toutes ces pensées qui ont sali votre imagination, tous ces désirs honteux qui ont corrompu votre cœur ; lisez, et comptez vos adultères ; voilà le lieu, le moment où vous les avez commis ; voilà la personne avec laquelle vous avez péché. Lisez toutes vos mollesses et vos lubricités, lisez et comptez combien vous avez perdu d’âmes qui m’avaient coûté si cher. Il y avait plus de mille ans que votre corps était pourri et votre âme en enfer, que votre libertinage entraînait encore des âmes en enfer. Voyez cette femme que vous avez perdue ; voyez ce mari, ces enfants et ces voisins ! tous demandent vengeance, tous vous accusent que vous les avez perdus et disent que sans vous ils seraient pour le ciel. Venez, filles mondaines, instruments de Satan, venez et lisez tous ces soins et ces temps que vous avez employés à vous parer ; comptez le nombre de mauvaises pensées et de mauvais désirs que vous avez donnés à ceux qui vous ont vues. Voyez-vous toutes les âmes qui crient que c’est vous qui les avez perdues. Venez, médisants, semeurs de faux rapports, venez et lisez, voilà où sont marquées toutes vos médisances, vos railleries et vos noirceurs ; voilà toutes les divisions que vous avez occasionnées ; voilà tous les troubles que vous avez fait naître, toutes les pertes et tous les maux dont votre maudite langue a été la première cause. Allez, malheureux ; entendre en enfer les cris et les hurlements épouvantables des démons. Venez, maudits avares, lisez, et comptez cet argent et ces biens périssables auxquels vous avez attaché votre cœur, au mépris de votre Dieu, et pour lesquels vous avez sacrifié votre âme. Avez-vous oublié votre dureté pour les pauvres ? Le voilà, votre argent, et comptez-le ; voilà votre or et votre argent, demandez-leur maintenant du secours, dites-leur qu’ils vous tirent d’entre mes mains. Allez, maudits, crier famine dans les enfers. Venez, vindicatifs, lisez et voyez tout ce que vous avez fait pour nuire à vôtre prochain ; comptez toutes ces injustices, comptez toutes ces pensées de haine et de vengeance que vous avez nourries dans votre cœur ; allez, malheureux, en enfer. Vous avez été rebelles : mes ministres vous ont mille fois dit que si vous n’aimiez pas votre prochain comme vous-mêmes, il n’y avait point de pardon pour vous. Retirez-vous de moi, maudits, allez aux enfers, où vous serez les victimes de ma colère éternelle ; où vous apprendrez que la vengeance appartient à Dieu seul. Viens, viens, ivrogne, regarde : voilà jusqu’à un verre le vin, jusqu’à un morceau le pain que tu as arraché de la bouche de ta femme et de tes enfants ; voilà tous tes excès, les reconnais-tu ? Sont-ce bien les tiens, ou, ceux de ton voisin ? Voilà le nombre de nuits, de jours que tu as passés dans les cabarets, les dimanches et les fêtes, voilà, jusqu’à une seule, les paroles déshonnêtes que tu as dites dans ton ivresse ; voilà tous les jurements, toutes les imprécations que tu as vomies ; voilà tous les scandales que tu as donnés à ta femme, à tes enfants et à tes voisins. Oui, j’ai tout écrit et tout compté. Va, malheureux, t’enivrer dans les enfers du fiel de ma colère. Venez, marchands, ouvriers, de quelque état que vous soyez ; venez, rendez-moi compte jusqu’à une obole, de tout ce que vous avez acheté et vendu ; venez, examinons ensemble si vos mesures et vos comptes sont conformes aux miens ? Voilà, marchands, le jour où vous avez trompé cet enfant ;
voilà ce jour où vous avez fait payer deux fois la même chose. Venez, profanateurs des sacrements, voilà tous vos sacrilèges, toutes vos hypocrisies. Venez, pères et mères, rendez-moi compte de ces âmes que je vous ai confiées ; rendez-moi compte de tout ce qu’ont fait vos enfants, vos domestiques ; voilà toutes les fois que vous leur avez donné la permission pour aller dans des lieux et des compagnies où ils ont péché. Voilà toutes les mauvaises pensées et les mauvais désirs que votre fille a donnés ; voilà tous les embrassements et autres actions infâmes ; voilà toutes ces paroles impures que votre fils a prononcées. Mais, Seigneur, diront les pères et mères, je ne le lui ai pas commandé. N’importe, leur dira leur juge, les péchés de tes enfants sont les tiens2. Où sont les vertus que tu leur as fait pratiquer ? Où sont les bons exemples que tu leur as donnés ? Où les bonnes œuvres que tu leur as fait faire ? Hélas ! que vont devenir ces pères et mères qui voient que leurs enfants, les uns s’en vont danser, les autres dans les jeux et les cabarets, et qui vivent tranquilles ? O mon Dieu, quel aveuglement ! Oh ! que de crimes dont ils vont se voir accablés dans ces terribles moments ! Oh ! que de péchés cachés qui vont être manifestés à la face de tout l’univers ! Oh ! abîmes profonds des enfers, ouvrez-vous pour engloutir ces foules de réprou­vés qui n’ont vécu que pour outrager Dieu et se damner. Alors, me direz-vous, toutes les bonnes œuvres que nous avons faites ne nous serviront donc de rien ? Ces jeûnes, ces pénitences, ces aumônes, ces communions ; ces confessions seront donc sans récompense ? Non, vous dira Jésus-Christ, toutes vos prières n’étaient que routine, vos jeûnes qu’hypocrisie, vos aumônes que vaine gloire ; votre travail n’avait point d’autre but que l’avarice et la cupidité ; vos souffrances n’étaient accompagnées que de plaintes et de murmures ; dans ce que vous faisiez, je n’étais pour rien. D’ailleurs je vous ai récompensés par des biens temporels, j’ai béni votre travail ; j’ai donné la fertilité à vos champs, enrichi vos enfants ; le peu de bien que vous avez fait, je vous en ai donné toute la récompense que vous pouviez en attendre. Mais, vous dira-t-il, vos péchés vivent encore, ils vivront éternellement devant moi ; allez, maudits, au feu éternel préparé pour tous ceux qui m’ont méprisé pendant leur vie.
Sentence terrible, mais infiniment juste. Quoi de plus juste ? Un pécheur qui, toute sa vie, n’a fait que se rouler dans le crime, malgré les grâces que le bon Dieu lui présentait sans cesse pour en sortir ! Voyez-vous ces impies qui se raillaient de leur pasteur, qui méprisaient la parole de vie, qui tournaient en ridicule ce que leur pasteur leur disait ? Voyez-vous ces pécheurs qui se faisaient gloire de n’avoir point de religion, qui raillaient ceux qui la pratiquaient ? Les voyez-vous, ces mauvais chrétiens qui avaient si souvent à la bouche ces horribles blasphèmes, qui disaient qu’ils trouvaient encore le pain bien bon et qu’ils n’avaient pas besoin de la confession ? Voyez-vous ces incrédules qui nous disaient que, quand nous étions morts, tout était fini ? Voyez-vous leur désespoir, les entendez-vous avouer leur impiété ? Les entendez-vous crier miséricorde ? Mais tout est fini, vous n’avez plus que l’enfer pour partage. Voyez-vous cet orgueilleux qui raillait et méprisait tout le monde ? Le voyez-vous abîmé dans son cœur, condamné pour une éternité sous les pieds des démons ? Voyez-vous cet incrédule qui disait qu’il n’y a ni Dieu, ni enfer ? Le voyez-vous avouer à la face de tout l’univers qu’il y a un Dieu qui le juge et un enfer où il va être précipité pour ne jamais en sortir ? Il est vrai que Dieu donnera la liberté à tous les pécheurs de donner leurs raisons et leurs excuses pour se justifier, s’ils le peuvent. Mais, hélas ! que pourra dire un criminel qui ne voit en lui-même que crime et ingratitude ? Hélas ! tout ce que pourra dire un pécheur dans ce moment malheureux ne servira qu’à montrer davantage son impiété et son ingratitude.

III. – Voici sans doute, M.F., ce qu’il y aura de plus effrayant dans ce terrible moment, ce sera quand nous verrons que Dieu n’a rien épargné pour nous sauver, qu’il nous a fait part des mérites infinis de sa mort sur la croix, qu’il nous a fait naître dans le sein de son Église, qu’il nous a donné des pasteurs pour nous montrer et nous enseigner tout ce que nous devions faire pour être heureux. Il nous a donné les sacrements pour nous faire recouvrer son amitié toutes les fois que nous l’avions perdue ; il n’a point mis de bornes au nombre des péchés, qu’il voulait nous pardonner ; si notre retour était sincère, nous étions sûrs de notre pardon. Il nous a attendus nombre d’années, quoique nous ne vivions que pour l’outrager ; il ne voulait pas nous perdre, mais plutôt il voulait absolument nous sauver ; et nous n’avons pas voulu ! C’est nous-mêmes qui le forçons par nos péchés de porter une sentence de réprobation éternelle : Allez, maudits enfants, allez trouver celui que vous avez imité : pour moi, je ne vous reconnais pas, sinon pour vous écraser de toutes les fureurs de ma colère éternelle.
Venez, nous dit le Seigneur par un de ses prophètes, venez, hommes, femmes, riches et pauvres, pécheurs, qui que vous soyez, de quelque état et condition que vous soyez, dites tous ensemble, dites vos raisons et moi je dirai les miennes. Entrons en jugement, pesons tout au poids du sanctuaire. Ah ! terrible moment pour un pécheur qui, de quelque côté qu’il considère sa vie, ne voit que péché et point de bien ! Mon Dieu ! que va-t-il, devenir ! Dans ce monde, le pécheur a toujours quelque excuse à alléguer à tous les péchés qu’il a commis ; il porte même son orgueil jusqu’au tribunal de la pénitence, où il ne devrait paraître que pour s’accuser lui-même et se condamner. Les uns prétextent l’ignorance ; les autres, les tentations trop violentes ; enfin d’autres, les occasions et les mauvais exemples : voilà tous les jours, les raisons que donnent les pécheurs pour cacher la noirceur de leurs crimes. Venez, pécheurs orgueilleux, voyons si vos excuses seront bien reçues au jour du jugement, et expliquez-vous avec celui qui, le flambeau à la main, a tout vu, tout compté, tout pesé.
Vous ne saviez pas, dites-vous, que cela était un péché ! Ah ! malheureux, vous dira Jésus-Christ, si vous étiez né parmi les nations idolâtres qui n’ont jamais entendu parler du vrai Dieu, vous pourriez encore un peu vous excuser sur votre ignorance ; mais vous, chrétien, qui avez eu le bonheur de naître dans le sein de mon Église, d’être élevé au centre de la lumière, vous à qui l’on a si souvent parlé de votre bonheur éternel ! Dès votre enfance, on vous apprenait tout ce qu’il fallait faire pour vous le procurer ; vous que jamais l’on ne cessa d’instruire, d’exhorter et de reprendre, vous osez vous excuser sur votre ignorance ! Ah ! malheureux, si vous viviez dans l’ignorance, c’était bien parce que vous n’aviez pas voulu vous instruire ; c’était bien parce que vous n’aviez pas voulu profiter des instructions ou que vous les aviez fuies. Allez, malheu­reux ! allez, vos excuses vous rendent encore plus digne de malédictions ! Allez, maudit enfant, dans les enfers, y brûler avec votre ignorance.
Mais, dira un autre, mes passions étaient bien vives, et ma faiblesse était bien grande. – Mais, leur dira le Seigneur, puisque Dieu était si bon que de vous faire connaître votre faiblesse, et que vos pasteurs vous disaient qu’il fallait continuellement veiller sur vous-même, vous mortifier, si vous vouliez dompter vos passions, pourquoi faisiez-vous donc tout le contraire ? Pourquoi preniez-vous tant de soins de contenter votre corps et de chercher vos plaisirs ? Dieu vous faisait connaître votre faiblesse, et vous tombiez à chaque instant : pourquoi n’aviez-vous donc pas recours à Dieu pour lui demander sa grâce ? Pourquoi n’écoutiez-vous pas vos pasteurs, qui ne cessaient de vous exhorter à demander les grâces et les forces dont vous aviez besoin pour vaincre le démon ? Pourquoi avez-vous eu tant d’indifférence et de mépris pour les sacrements, où vous aviez tant de grâce, tant de force, pour faire le bien et éviter le mal ? Pourquoi avez-vous donc si souvent méprisé la parole de Dieu, qui vous aurait guidé dans le chemin que vous deviez prendre pour aller à lui ? Ah ! pécheurs ingrats et aveugles, tous ces biens étaient à votre disposition, vous pouviez vous en servir comme tant d’autres. Qu’avez-vous fait pour vous empêcher de tomber dans le péché ? Si vous avez prié et n’avez pas obtenu, c’est que vous n’avez prié que par routine ou habitude. Allez, malheureux ! plus vous aviez connu votre faiblesse, plus vous deviez avoir recours à Dieu qui vous aurait soutenu et aidé à opérer votre salut. Allez, maudit, vous n’en êtes que plus criminel.
Mais, il y a tant d’occasion de pécher, dira encore un autre. – Mon ami, je connais trois sortes d’occasions qui peuvent nous porter au péché. Tous les états ont leurs dangers et offrent de ces occasions. Je dis qu’il y en a trois sortes : celles où nous sommes nécessairement exposés par les devoirs de notre état, celles que nous rencontrons sans les chercher, et celles où nous nous engageons sans nécessité. Si celles où nous nous engageons sans nécessité ne nous serviront point d’excuses, ne cherchons pas à excuser un péché par un autre péché. Vous avez entendu chanter une mauvaise chanson, dites-vous ; vous avez entendu une médisance ou une calomnie : et pourquoi êtes-vous allé dans cette maison ou cette compagnie ? Pourquoi fréquentez-vous ces personnes sans religion ? Ne savez-vous pas que celui qui s’expose au danger est coupable et y périra ? Celui qui tombe sans s’exposer se relève aussitôt, et sa chute le rend encore plus vigilant et plus sage. Mais ne voyez-vous pas que Dieu qui nous a promis son secours dans nos tentations, ne nous l’a pas promis lorsque nous avons la témérité de nous exposer de nous-mêmes ? Allez, malheureux, vous avez cherché vous-même à vous perdre ; vous méritez l’enfer qui est réservé aux pécheurs comme vous.
Mais, me direz-vous, l’on a continuellement de mauvais exemples devant les yeux. – Vous avez de mauvais exemples, quelle frivole excuse ! Si vous en avez de mauvais, n’en avez-vous pas aussi de bons ? Pourquoi n’avez-vous pas plutôt suivi les bons que les mauvais ? Lorsque vous voyiez aller cette jeune fille à l’église, à la table sainte, pourquoi ne la suiviez-vous pas plutôt que celle qui allait aux danses ? Lorsque ce jeune homme venait à l’église pour y adorer Jésus-Christ dans son saint tabernacle, pourquoi n’avez-vous pas plutôt suivi ses traces que celles de celui qui allait au cabaret ? Dites plutôt, pécheur, que vous avez mieux aimé suivre la voie large qui vous a conduit dans ce malheur où vous vous trou­vez, que le chemin que le Fils de Dieu a tracé lui-même. La vraie cause de vos chutes et de votre réprobation ne sont donc ni des mauvais exemples, ni des occasions, ni de vos faiblesses, ni des grâces qui vous manquaient ; mais seulement des mauvaises dispositions de votre cœur que vous n’avez pas voulu réprimer. Si vous avez fait le mal, c’est parce que vous l’avez bien voulu. Votre perte vient donc uniquement de vous.
Mais, me direz-vous, l’on nous avait toujours dit que Dieu était bon. – Il est vrai qu’il est bon ; mais il est juste : sa bonté et sa miséricorde sont passées pour vous ; il n’y a plus que sa justice et sa vengeance. Hélas ! M.F., nous qui avons tant de répugnance pour nous confesser, si, cinq minutes avant ce grand jour, Dieu nous donnait des prêtres, pour leur confesser nos péchés, afin qu’ils fussent effacés, ah ! avec quel empressement n’en profi­terions-nous pas ? Ce qui ne nous sera point accordé en ce moment de désespoir. Le roi Bogoris fut bien plus sage que nous : ayant été instruit par un missionnaire de la religion catholique, il était retenu encore par les faux plaisirs du monde. Par un effet de la providence de Dieu, un peintre chrétien, à qui il avait donné commission de peindre dans son palais la chasse la plus terrible aux bêtes farouches, lui peignit au contraire le jugement dernier, le monde tout en feu, Jésus-Christ au milieu des tonnerres et des éclairs, l’enfer déjà ouvert pour engloutir les damnés, avec des figures si épouvantables que le roi resta immo­bile. Revenu à lui-même, il se rappela ce que le mission­naire lui avait dit qu’il fallait faire pour éviter les horreurs de ce moment-là, où le pécheur ne peut avoir que le déses­poir pour partage ; et, renonçant de suite à tous ses plaisirs, il passa le reste de sa vie dans la pénitence et les larmes.
Hélas ! M.F., si ce prince ne s’était pas converti, il serait également mort, il aurait quitté tous ses biens et ses plaisirs, il est vrai, un peu plus tard ; mais, lui mort, depuis bien des siècles ses biens auraient passé à d’autres. Il serait en enfer, et brûlerait pour jamais, tandis qu’il est dans le ciel pour une éternité, qu’il est content en attendant le grand jour du jugement, de voir que tous ses péchés lui sont pardonnés, et qu’ils ne reparaîtront jamais, ni aux yeux de Dieu, ni aux yeux des hommes.
Ce fut cette pensée bien méditée par saint Jérôme, qui le porta à tant de rigueurs sur son corps et à tant verser de larmes. Ah ! s’écriait-il dans sa solitude, il me semble que j’entends à chaque instant cette trompette qui doit réveiller tous les morts, m’appeler au tribunal de mon Juge. Cette même pensée faisait trembler un David sur son trône, un Augustin au milieu de ses plaisirs, malgré tous les efforts qu’il faisait pour l’étouffer. Il disait de temps en temps à son ami Alipe : Ah ! cher ami, un jour viendra que nous paraîtrons tous devant le tribunal de Dieu, pour y recevoir la récompense du bien ou le châtiment du mal que nous aurons fait pendant notre vie ; quittons, mon cher ami, lui disait-il, la route du crime pour celle qu’ont suivie tous les saints. Préparons-nous à ce jour dès l’heure présente.
Saint Jean Climaque nous rapporte qu’un solitaire quitta son monastère pour passer dans un autre et y faire plus de pénitence. La première nuit, il fut cité au tribunal de Dieu qui lui montra qu’il était redevable envers sa justice de cent livres d’or. Hélas ! Seigneur, s’écria-t-il, que vais-je faire pour les acquitter ? Il demeura trois ans dans ce monastère, où Dieu permit qu’il fût méprisé et maltraité de tous les autres, au point qu’il semblait que personne ne pouvait le souffrir. Notre-Seigneur lui apparut une deuxième fois en lui disant qu’il n’avait encore acquitté qu’un quart de sa dette. Ah ! Seigneur, s’écria-il, que faut-il donc que je fasse pour me justifier ? Il contrefit le fou pendant treize ans, faisant tout ce que l’on voulait ; on le traitait durement comme une bête de somme. Le bon Dieu lui apparut une troisième fois en lui disant qu’il en avait acquitté la moitié. Ah ! Seigneur, répondit-il, puisque je l’ai voulu, je dois souffrir pour payer votre justice. Ah ! mon Dieu ! n’attendez pas, pour punir mes péchés, après le jugement.
Saint Jean Climaque nous rapporte un autre trait qui fait frémir. Il y avait, nous dit-il, un solitaire qui, depuis quarante ans, pleurait ses péchés au fond d’un bois. La veille de sa mort, tout à coup, hors de lui-même, ouvrant les yeux, regardant à droite et à gauche de son lit, comme s’il eût vu quelqu’un qui lui demandait compte de sa vie, il répondait d’une voix tremblante : Oui, j’ai commis ce péché, mais je l’ai confessé et j’en ai fait pénitence pen­dant tant d’années ; jusqu’à ce que le bon Dieu m’ait pardonné. – Tu as commis aussi ce péché, lui disait cette voix. – Non, lui répondit le solitaire, je ne l’ai pas commis. Avant de mourir on l’entendit crier : Mon Dieu, mon Dieu, ôtez, ôtez, s’il vous plaît, mes péchés de devant mes yeux, je ne peux plus y tenir. Hélas ! qu’allons-nous devenir, si le démon reproche même les péchés que nous n’avons pas commis3, nous qui sommes tout couverts de péchés, et n’avons point fait de pénitence ? Hélas ! à quoi nous attendre pour ce terrible moment ? Si les saints sont à peine rassurés, qu’allons-nous devenir ?
Que devons-nous conclure, de tout cela, M.F. ? Le voici : c’est qu’il ne faut jamais perdre de vue que nous serons jugés un jour sans miséricorde, et que tous nos péchés paraîtront aux yeux de tout l’univers ; et, qu’après ce jugement, si nous nous trouvons dans ces péchés, nous irons les pleurer dans les enfers sans pouvoir ni les effacer, ni les oublier. Oh ! que nous sommes aveugles, mes frères, si nous ne profitons du peu de temps qui nous reste à vivre pour nous assurer le ciel ! Si nous sommes pécheurs, nous avons dans cette vie l’espérance du pardon ; au lieu que, si nous attendons alors, il n’y aura plus de ressources. Crions du fond de l’âme : Mon Dieu !. faites-moi la grâce de ne jamais perdre le souvenir de ce moment terrible, surtout lorsque je serai tenté, pour ne pas me laisser succomber ; afin qu’en ce jour nous entendions ces douces paroles sortir de la bouche du Sauveur : « Venez, les bénis de mon Père, posséder le royaume qui vous est préparé depuis le commencement du monde. »

St Jean-Marie VIANNEY (+1859) curé d’Ars.



Partage de la connaissance – St Césaire d’Arles

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      Beaucoup de gens, et peut-être même des personnes pieuses, veulent posséder de nombreux livres bien propres et joliment reliés et les gardent si bien enfermés dans leurs bibliothèques qu’ils ne les lisent même pas eux-même et ne les prêtent pas aux autres, ignorant qu’il ne sert à rien d’avoir des livres et de ne pas les lire à cause des empêchements de ce monde.

Césaire D’Arles (+452)
Sermons au peuple I



Pureté et Sainte Communion – St Augustin

Sermon CXXXII. Pureté et Sainte Communion (Jean, VI, 66. 67)

      1. Nous venons de l’entendre pendant la lecture du saint Évangile, c’est en nous promettant la vie éternelle que Jésus-Christ notre Seigneur nous exhorte à manger sa chair et à boire son sang. Vous l’avez tous entendu, mais tous vous ne l’avez pas compris. Vous qui êtes baptisés et vous- qui êtes au nombre des fidèles, vous savez la pensée du Seigneur. Quant à ceux qui sont encore Catéchumènes où Écoutants, ils ont pu entendre ses paroles, mais en ont-ils saisi le sens? Aussi nous adressons-nous aux uns et aux autres.

      Ceux qui déjà mangent la chair du Seigneur et boivent son sang, doivent songer à ce qu’ils mangent et à ce qu’ils boivent; pour ne pas s’exposer, comme s’exprime l’Apôtre, à manger et à boire leur condamnation (I Cor. XI, 29). Pour ceux qui ne communient pas encore, qu’ils s’empressent d’approcher de ce divin banquet où ils sont invités. C’est à cette époque que les maîtres de maison donnent des repas : Jésus en donne chaque jour, et voilà sa table dressée au milieu de cette enceinte. Qui vous empêche, ô Écoutants, de voir cette table et de vous asseoir à ce festin? Vous vous êtes dit peut-être, durant la lecture de l’Évangile : Quelle idée nous faire de ces mots : « Ma chair est véritablement une nourriture et mon sang véritablement un breuvage ? » Comment se mange la chair et comment se boit le sang du Seigneur ? Que veut-il dire? — Mais qui t’a fermé l’entrée de ce mystère? Tu y vois un voile; ce voile, si tu veux, sera ‘soulevé. Viens à la profession de foi et la question sera résolue pour toi, car ceux qui l’ont faite connaissent ce qu’a voulu dire notre Seigneur Jésus. Quoi! on t’appelle Catéchumène, on t’appelle Écoutant, et tu es sourd! Tu as ouverte l’oreille du corps, puisque tu entends le bruit des paroles; mais tu as fermée encore l’oreille du coeur, puisque tu n’en comprends point le sens. Je parle, mais je n’explique pas. Nous voici à Pâques, fais-toi inscrire pour le Baptême. Si la fête ne suffit pas pour t’exciter, laisse-toi conduire par la curiosité même, par le désir de savoir ce que signifie « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui. » Pour comprendre avec moi le sens de ces mots : frappe et on t’ouvrira. Je te dis : Frappe et on t’ouvrira; moi aussi je frappe, ouvre-moi; je fais bruit aux oreilles, mais je frappe au coeur.

      2. Mes frères, si nous devons exciter les Catéchumènes à ne point différer de recevoir cette grâce- immense de la régénération; quel soin devons-nous consacrer à porter les fidèles à profiter de ce qu’ils reçoivent, à ne pas manger, à ne pas boire leur condamnation à cette table divine ! Qu’ils vivent donc bien, pour être préservés de ce malheur. Et vous, exhortez, non par vos paroles, mais par vos moeurs, ceux qui ne sont pas baptisés, à suivre vos exemples sans y trouver la mort. Époux, gardez à vos épouses la foi nuptiale ; faites pour elles, ce que vous exigez pour vous. Mari, tu requiers de ta femme la garde de la chasteté, donne-lui l’exemple et non des paroles. Tu es le chef; vois où tu marches; car tu ne dois marcher que par où elle peut te suivre sans danger; que dis-je? partout où tu veux qu’elle mette le pied, tu dois mettre le tien. De ce sexe faible tu exiges la force : comme vous éprouvez l’un et l’autre les convoitises de la chair, c’est au plus fort de vaincre le premier. N’est-il pas toutefois déplorable de voir tant d’hommes vaincus par les femmes? Des femmes gardent la chasteté que des hommes refusent d’observer; ils mettent même leur honneur d’homme à ne l’observer pas, comme si leur sexe n’était plus fort que pour se laisser plus ‘facilement dompter par l’ennemi. Il y a lutte, il y a combat, il y a bataille. L’homme est plus fort que la femme, dont il est le chef (Ephés. V, 23). La femme combat, elle triomphe; et toi tu succombes! Le corps reste debout et la tête est tombée!

      Pour vous, qui n’êtes point mariés encore et qui pourtant vous approchez de la table du Seigneur pour y manger sa chair et y boire son sang, conservez-vous pour vos futures épouses si vous devez en prendre. Ne doivent-elles pas vous trouver telles que vous désirez les trouver vous-mêmes? Quel est le jeune homme qui ne désire une épouse chaste, qui ne demande l’intégrité la plus parfaite dans la vierge à laquelle il veut s’unir ? Sois ce que tu veux qu’elle soit ; tu la veux pure, sois pur. Ne pourrais-tu ce dont elle est capable ? Si la vertu est impossible, pourquoi la pratique-t-elle? Et si elle la pratique, n’est-ce pas t’enseigner qu’elle est praticable ? C’est Dieu sans doute qui la dirige pour l’en rendre capable.

      Souviens-toi cependant qu’à la pratiquer tu auras plus de gloire qu’elle. Pourquoi plus de gloire? C’est qu’elle est comprimée par la vigilance de ses parents, arrêtée par la pudeur (le son faible sexe, retenue enfin par la peur de lois que tu n’as pas à craindre. Voilà pourquoi tu auras réellement plus de gloire à demeurer chaste, la pureté sera en toi la preuve que tu crains Dieu.Elle, en dehors de Dieu, que n’a-t-elle pas à craindre? Toi, tu n’as d’autre crainte que celle de Dieu ; mais aussi quelle grandeur comparable à celle de ce Dieu que tu crains ? Il faut le craindre en public et le craindre en secret. Si tu sors il te voit, il te voit encore si tu entres ; ta lampe brûle, il te voit ; elle est éteinte, il te voit encore; il te voit quand tu pénètres dans ton cabinet, il te voit aussi quand tu réfléchis en ton coeur. Crains, crains cet oeil qui ne te perd pas de vue, et que la crainte au moins te maintienne chaste; ou bien, si tu es déterminé à pécher, cherche un endroit où Dieu ne te verra pas, et fais là ce que tu veux.

      3. Pour vous qui déjà avez fait le voeu de pureté, châtiez plus sévèrement votre corps, ne laissez pas la convoitise aller même à ce qui est permis; non content, de vous abstenir de tout contact impur, sachez dédaigner même un regard licite. Quelque soit votre sexe, souvenez-vous que vous menez sur la terre la vie des Anges, puisque les Anges ne se marient point. Après lai résurrection nous serons tous comme eux (Matt. XXXII, 30); mais combien vous l’emportez sur les autres, vous qui commencez d’être avant la mort ce qu’ils ne seront qu’après la résurrection ! Soyez fidèles à vos engagements divers, comme Dieu sera fidèle à vous glorifier diversement. Les morts ressuscités sont comparés aux étoiles du ciel. « Une étoile, dit l’Apôtre, diffère en clarté d’une autre étoile. Ainsi en est-il de la résurrection (I Cor. XV, 41, 42). » Autre sera l’éclat de la virginité, autre l’éclat de la chasteté conjugale, autre encore l’éclat de la viduité sainte. La gloire sera diverse, ruais tous les élus auront la leur. La splendeur n’est pas la même, le ciel est commun.

      4. Réfléchissez ainsi à vos devoirs, soyez fidèles à vos obligations diverses et recevez la chair, recevez le sang du Seigneur. Qu’on n’approche point, si l’on n’a pas la conscience en bon état. Que mes paroles vous portent de plus en plus à la componction. Elles portent la joie dans ceux qui savent rendre à leurs épouses ce qu’ils demandent d’elles et dans ceux aussi qui observent avec perfection la continence qu’ils ont vouée à Dieu. Mais il en est d’autres qui s’affligent en m’entendant dire : N’approchez pas de ce pain sacré, vous qui n’êtes pas purs. Je voudrais bien ne pas tenir ce langage : mais que faire ? Aurai-je peur de l’homme pour ne pas annoncer la vérité ? Il faudra donc que ces serviteurs infidèles ne craignant pas le Seigneur, je ne le craigne pas non plus, comme si je ne connaissais pas cette sentence : « Serviteur mauvais et paresseux, tu aurais dû donner et moi j’aurais fait rendre (Matt. 26, 27). »

      Ah ! j’ai donné, Seigneur mon Dieu ; oui, devant vous, devant vos Anges et devant votre peuple j’ai distribué vos richesses; car je redoute vos jugements. J’ai distribué, à vous de faire rentrer. Du reste vous le ferez assez sans que je le dise. Je dirai donc au contraire: J’ai distribué, à vous de toucher, à vous de pardonner. Rendez purs ceux qui étaient impurs. Ainsi, au jour de vos arrêts, nous serons tous dans la joie, et celui qui a donné et celui qui a reçu. Le voulez-vous, mes frères ? Veuillez-le. O impudiques, corrigez-vous pendant que vous êtes en vie. Je puis bien annoncer la parole de Dieu, mais je ne saurais soustraire au jugement et à la condamnation suprême les impurs qui auront persévéré dans leurs infamies.

Saint Augustin (+430)



Sermon aux néophytes – St Jean Chrysostome

Sermon aux néophytes – Saint Jean Chrysostome

      Veux-tu connaître la puissance du sang de Jésus-Christ? Revenons à la figure qui l’annonce, aux événements anciens qui se passèrent en Égypte, et que raconte l’Écriture. A cette époque Dieu a voulu envoyer la dixième plaie aux Égyptiens et frapper la nuit tous les premiers-nés, vers minuit, parce qu’on retenait par force son premier-né, le peuple élu.

      Pour ne pas frapper le peuple juif en même temps que les Égyptiens – les deux habitant le même pays – il donna un signe distinctif, un signe merveilleux pour que tu discernes la puissance de la vérité signifiée. Déjà la colère de Dieu menace et l’on redoute l’ange exterminateur qui doit visiter toute demeure. C’est à ce moment que Moïse donne l’ordre: « Immolez un agneau d’un an, sans défaut, et de son sang marquez vos portes. » (Exode, 12, 7) Comment? Le sang d’un agneau peut-il sauver des hommes doués de raison? Certainement pas en tant qu’il est du sang, mais parce qu’il figure le sang du Maître. La statue de l’empereur inanimé et sans vie donne abri, selon le droit antique, à tout homme vivant qui s’y réfugie, non point parce qu’elle est en fonte, mais parce qu’elle représente l’empereur. Il en est de même du sang inanimé et sans vie de l’agneau, il peut sauver des âmes humaines, non point parce qu’il est du sang, mais parce qu’il figure le sang du Christ. L’ange exterminateur en voyant le sang de l’agneau sur les portes passait et n’osait pas entrer, à plus forte raison l’ennemi se tiendra-t-il à distance en apercevant non le sang de l’agneau aux linteaux des portes, mais le sang véritable du Christ aux lèvres des fidèles, aux portes des temples vivants de Dieu? Si l’ange craignait déjà la figure, à plus forte raison le démon fuit-il la réalité!

      Veux-tu connaître encore mieux la puissance du sang du Christ, souviens-toi de son origine. Il a coulé du côté du Maître en croix. Quand Jésus eut expiré, encore en croix, raconte l’Écriture, un soldat vint et lui ouvrit le côté avec une lance. « Il en coula de l’eau et du sang » (Jean, 19, 34). L’eau symbolise le baptême, le sang est la figure de l’Eucharistie. Voilà pourquoi il est écrit: il coula du sang et de l’eau, mais d’abord de l’eau, puis du sang. Nous sommes d’abord lavés dans le baptême, puis gratifiés du sacrement eucharistique.

      La lance du soldat ouvrit le côté et brisa le mur du temple saint. Voici, j’y ai trouvé un trésor de grâce. Il en fut de même de l’agneau pascal. Les Juifs immolaient l’agneau, et nous, nous avons cueilli le fruit de la figure: Du côté coula du sang et de l’eau.

      Ne passe pas à pieds joints sur cet épisode, riche de significations et considère un autre mystère qui s’y cache. J’ai dit l’eau et le sang sont les symboles du baptême et de l’Eucharistie. Dans les deux sacrements, le bain de la nouvelle naissance et le mystère eucharistique qui tirent leur origine du côté transpercé du Christ, est fondée l’Église.

      De ce côté ouvert Jésus a bâti l’Église, comme Ève à tire son origine du côté d’Adam. Voilà pourquoi Paul a pu écrire: « Nous sommes de sa chair et de ses os » (Éphésiens, 5, 30), en pensant à la plaie du côté. Dieu a pris le côté du flanc d’Adam pour former la femme, le Christ même nous donne sang et eau de son côté pour former l’Église. De même que Dieu avait pris la côté d’Adam pendant qu’il dormait, en extase, de même Jésus nous donne sang et eau, après s’être endormi dans la mort. Là le sommeil d’Adam, ici le sommeil de la mort.

      Voyez donc combien le Christ est uni à son épouse. Voyez avec quelle nourriture il nous rassasie. Il est lui-même notre nourriture et notre festin. Comme une femme nourrit son enfant de son lait maternel, en quelque sorte avec son propre sang, ainsi le Christ nourrit sans cesse ceux à qui il a donné la vie de la nouvelle naissance, au prix de son propre sang.

Saint Jean Chrysostome (+ vers 407)   



Le Christ s’est fait homme pour l’homme – St. Pierre Chrysologue

Le Christ s’est fait homme pour l’homme

      Le Christ a donné à l’homme d’être en réalité ce qu’il n’était auparavant que par ressemblance…

      Pour cela le Christ a assumé l’enfance et accepté d’être nourri. Il s’est inséré dans le temps pour instaurer le seul âge parfait, l’âge qui demeure, l’âge que lui-même avait fait. Il porte l’homme afin que l’homme ne puisse plus tomber. Celui qu’il avait créé terrestre, il le fait devenir céleste. Celui qu’animait un esprit humain, il lui donne la vie de l’Esprit de Dieu. Il le transporte tout entier en Dieu au point que ce qu’il y avait en lui de péché, de mort, de peine, de douleur, de purement terrestre, il n’en reste plus rien, grâce à notre Seigneur Jésus Christ qui vit et règne avec le Père en l’unité du Saint Esprit, car il est Dieu, maintenant et toujours pour l’immortalité des siècles des siècles.

St. Pierre CHRYSOLOGUE   
+ 450, archevêque de Ravenne.



PREMIER SERMON. Incertitude et brièveté de la vie. (Saint Bernard de Clairvaux)

1. C’est une pensée bien vraie, mes frères, que  » la vie de l’homme sur la terre est une tentation (Job VII, 1).  » En effet, elle est incertaine et nous trompe de bien des manières, car, pour tromper (a) les hommes de plus de manières, elle change de figure et de voix. Tantôt elle dit oui, tantôt elle dit non sans rougir. Elle parle aux uns d’une manière et aux antres d’une autre sur sa propre longueur, que dis-je, souvent aux mêmes hommes, elle tient un langage différent et opposé , selon la diversité du temps. Tantôt elle se plaint de sa propre brièveté, et tantôt elle feint d’être plus longue qu’elle n’est. Quand le péché plait encore, elle gémit profondément sur sa brièveté. Cette brièveté n’est que trop réelle, mais ses gémissements, tombent à faux, car ce qu’elle constate devrait plutôt la remplir de joie que de douleur. En effet, il serait désirable pour elle, si elle persévère dans ses mauvais errements, que la nécessité mît fin à ses crimes, puisque la volonté ne peut le faire. Il vaut mieux mourir promptement de la mort du corps, quand on meurt toujours de celle de l’âme, il aurait même été préférable pour celui qui vit ainsi qu’il ne fût pas né. La pensée de la brièveté de la vie devrait être pour nous plutôt un remède qu’une excitation au péché, selon cette parole de l’Écriture :  » Souvenez-vous de vos fins dernières et vous ne pécherez jamais (Eccli. VII, 40).  » Mais si le péché a si bien établi son règne eu vous, ou plutôt si vous vous plaisez tellement dans la servitude du péché, que vous gémissiez de ne pouvoir pas en être assez longtemps l’esclave, et que vous aimiez la voie large où vous courez au point de vouloir aussi la faire longue autant qu’il serait en vous, sachez gîte soit que vous le vouliez, soit que vous ne le vouliez pas, le terme n’en est pas éloigné ; mais vous, vous êtes bien loin du royaume de Pieu , et vous conviendrez que vous avez fait une étroite alliance avec la mort et un pacte avec l’enfer.

2. Le Prophète a dit :  » Ils ont erré dans la solitude, dans des lieux où il n’y avait point d’eau, et ils n’ont point trouvé de route qui les

(a – Ce passage et les suivants, sont cités dans le livre VI, chapitre 30 des Fleurs de saint Bernard, ainsi que ces mots:  » Est-il versé dans les lettres, il ne veut point d’associé, etc.  » Voir même livre, chapitre premier.)

conduisît dans une ville où ils pussent habiter (Psal. CVI, 4).  » Cette solitude est la solitude de l’orgueil, car les orgueilleux se regardent comme étant seuls, et ne désirent qu’une chose, passer pour uniques. Est-il versé dans les lettres, il ne veut point d’associé. Est-il habile dans lés affaires du monde, il veut être sans pareil. S’il a de la fortune, il souffre d’en voir d’autres en acquérir aussi. Est-il fort, bien fait, ne lui montrez pas son semblable, il en sècherait de dépit. Il va seul, mais il marche dans une voie erronée, il s’égare dans sa solitude, on ne peut habiter seul sur la terre. Il ne faut pas s’étonner que le Prophète ait ajouté, en parlant de cette solitude, que c’est un lieu sans eau, en disant :  » dans la solitude, dans des lieux où il n’y a point d’eau.  » C’est que, de même que l’eau manque ordinairement dans les solitudes et que les lieux déserts sont le plus souvent arides et stériles, ainsi ne trouve-t-on que l’impénitence là où est l’orgueil. Le coeur qui s’enfle est dur, sans piété, sans componction, et privé de toute rosée de la grâce spirituelle, car  » Dieu résiste aux superbes, et ne donne sa grâce qu’aux humbles (Jac. IV, 6). Il fait jaillir ses sources dans les vallées, et couler ses eaux entre les montagnes (Psal. CIII, 11), comme dit le Prophète. Voilà ce qui faisait dire ailleurs au Psalmiste, en gémissant de son propre état . « Mon âme est devant vous comme une terre sans eau (Psalm. CXLVII, 6).  » Le manque d’eau rend un endroit, non-seulement aride, mais sordide, puisqu’il n’y a aucun moyen de le purifier, aussi un coeur d’homme qui ne connaît point les larmes, est nécessairement dur, ce n’est pas assez, est impur.  » Je laverai ma couche toutes les nuits (Psal. VI, 7),  » dit le Prophète, pour effacer les souillures de ma conscience,  » j’arroserai mon lit de mes larmes,  » de peur de voir s’accomplir en moi ce qui a été écrit de la semence qui est tombée sur la pierre,. et qui se dessécha après avoir, poussé, parce qu’elle manquait d’humidité.

3. « Ils ont donc erré dans la solitude, dans des lieux où il n’y avait point d’eau, et ils ne trouvèrent point de route qui les conduisît dans une ville où ils pussent habiter. » Oui, ils ont erré, non point dans une voie, mais hors de toute voie frayée, car une voie large n’est point une voie. Ce qui est le propre d’une voie est d’être droite, la largeur appartient aux plaines bien plutôt qu’aux chemins. Être seul dans un chemin, c’est avoir un chemin large, mais là où il n’y a point de route tracée tout est chemin. Telle est la vie qui est exposée aux vices, elle s’étend, à droite et à gauche, dans de très-grands espaces, attendu qu’elle n’a point de bornes. D’ailleurs on ne saurait lui donner proprement le nom de vie, puisqu’elle n’aboutit qu’à la mort, selon cette parole de l’Apôtre :  » Si vous vivez selon la chair, notre vie est une mort (Rom. VIII, 13).  » De même, une voie qui procède par circuits, d’est pas proprement une voie, c’est celle des impies, selon ce mot du Psalmiste :  » Les impies avancent par circuit (Psal. XI, 9).  » Leur voie est la voie spacieuse qu’aucune borne ne renferme, c’est la vôtre où il n’y a plus ni loi, ni prévarication. C’est donc avec confiance que la vie, dans son incertitude, se plaint encore de sa brièveté aux enfants de l’incrédulité, qui se sont plongés tout entiers dans les voluptés corporelles, et dans leurs propres volontés, pour qu’ils soient affligés selon la chair, en reconnaissant, à l’instar de leur propre prince (b), qu’ils ont peu de temps, et qu’ils se lancent avec d’autant plus d’ardeur, dans fonte espèce de crimes, selon ce que disaient ceux que le Sage fait parler ainsi :  » Ne laissons point passer la fleur de la saison. Couronnons-nous de roses avant qu’elles se flétrissent. Qu’il n’y ait point de pré, où nos passions luxurieuses ne s’étalent, que nul endroit ne soit vierge de nos débauches, laissons partout des traces de nos excès ; car c’est là notre sort et notre partage (Sap. II, 7 à 9).  » Ou bien d’une façon plus claire encore :  » Mangeons et buvons, car nous mourrons demain (Ibid. 6).  » Mais voici ce que la justice, leur répondra demain : ceux qui n’ont pas trouvé la voie qui les conduisît. à, une cité où ils pussent fixer leur séjour, n’ont point de cité permanente ici, et plus ils se hâtent de pécher, plus ils montrent combien ils sont insensés. Évidemment, si au moment où ils commencent à trembler à la pensée de la mort qui les menace de près, et à se sentir saisis de frayeur au souvenir du jugement terrible qui les attend, la vie, malgré son incertitude, leur dit qu’elle est longue, elle les induit en erreur, puisqu’elle leur fait trouver tout à coup tellement longue une vie qu’ils gémissaient de voir si courte pour le péché, qu’ils croient pouvoir, sans crainte, en consumer dans le mal une partie notable encore puisqu’il leur en resté bien assez polir faire pénitence de leurs péchés. Mais, de même que pour les premiers, s’ils ne viennent à récipiscence, ils sont victimes de ce qu’ils appréhendent, que dis-je? ils tombent dans des maux plus considérables que ceux qu’ils redoutent, puisque non-seulement ils voient passer avec une effrayante rapidité ces jours de péché, mais encore les voient suivre des jours ou plutôt de l’éternité même des supplices; ainsi, ceux qui avaient à la bouche les mots de paix et de sécurité, verront fondre, tout à coup, sur eux, la mort qui ne leur laissera même pas jouir de la moitié des jours de vie dont ils se berçaient, encore dans leurs rêves, ni en remplir, même à moitié, le cours comme ils se l’étaient promis.

4. Pour ce qui vous concerne, mes frères, je n’appréhende ni vaine tristesse de la brièveté de la vie qui est vraie, ni trompeuses espérances fondées sur une durée qui n’est pas, attendu qu’il est très-certain pour moi que vous avez commencé à entrer dans les voies qui conduisent à la cité, où vous pouvez fixer votre séjour et que vous ne marchez point dans des sentiers non frayés, mais bien dans la voie. Pourtant, je crains, pour vous, autre chose que cela, c’est que la vie non pas vous illusionne par l’apparence de sa longueur, mais qu’au lieu de vous être, à cause même de sa brièveté, un sujet de consolation, elle ne le soit de tristesse. Oui, j’ai peur que dans la pensée que ce qui vous reste à vivre et la

(b – C’est du diable que saint Bernard veut parler ici, selon ces paroles de l’Apocalypse « Le diable est descendu vers vous plein de colère, parce qu’il sait bien le peu de temps qu’il lui reste (Apoc. XI, 12 ). « )

route à parcourir ne soient bien longs encore, votre âme ne se laisse aller au découragement, et ne désespère de pouvoir soutenir jusqu’au bout des fatigues si grandes et si prolongées. Mais les consolations divines versent la joie dans l’âme des élus à proportion de la multitude de leurs épreuves. Oui, à présent, c’est à proportion de ces épreuves, c’est avec mesure, en quelque sorte qu’elles nous sort données. Mais après cela, ce ne sont plus des consolations, mais des délices sans fin que nous trouverons dans la droite du Seigneur. Soupirons, mes frères, après cette droite qui doit nous embrasser tous, soupirons après ces délices, et que l’excès de nos désirs nous fasse trouver courts les jours qui nous restent à vivre et qui seront, en effet, bien vite passés.  » Tontes les souffrances de la vie, présente n’ont point de proportion avec cette gloire qui sera, un jour, découverte en nous (Rom. VIII, 16).  » Quelle agréable promesse, comme elle est digne de faire l’objet de tous nos voeux ! Nous ne nous tiendrons point là comme des spectateurs aussi vides que vains, et cette gloire ne sera pas une gloire extérieure à nous, mais elle sera en nous. En effet, nous verrons Dieu face à face, mais non hors de nous, il sera en nous; car il sera font en tons; si la terre elle-même doit être pleine de cette gloire, à combien plus forte raison notre âme devra-t-elle en être remplie ?  » Nous serons remplis des biens de votre maison (Psal. LXIV, 5),  » est-il dit. Mais pourquoi dis-je que la gloire de Dieu ne brillera pas seulement devant nous, mais en nous ? C’est que, si maintenant elle est en nous, alors elle sera révélée en nous, car pour le moment, nous sommes les enfants de Dieu; mais ce qui nous devons être, un jour, n’a point encore paru.

5. Mes frères, si nous n’avons point reçut l’esprit de ce monde, mais l’esprit qui vient de Dieu, sachons ce qui nous a été donné de Dieu. Or, pour le dire d’un mot, il nous a tout donné, et si vous ne m’en croyez pas, croyez du moins à l’Apôtre qui vous dit :  » Celui qui n’a pas même épargné son propre fils, mais l’a livré pour nous tous, ne nous a-t-il point donné tout le reste avec lui (Rom. VIII, 32) ? » Telle est, par exemple, la puissance des enfants de Dieu qu’il a donnée à ceux qui l’ont reçue; telle est la gloire réservée à chacun des fidèles, la gloire qui convient aux enfants adoptifs du père, et qui nous est donnée par celui dont nous avons vu aussi la gloire; mais la gloire qui convient au Fils unique du Père. Quant à la puissance, écoutez ce qu’il en dit lui-même : « Tout est possible à celui qui croit (Marc. IX, 12).  »

6. Mais, direz-vous, il y a encore bien des choses qui lue causent de graves inquiétudes, bien des choses qui me sont manifestement contraires, et je m’étonne que vous me disiez que tout m’a été donné, quand il n’y a presque rien qui se plie à mes désirs. Il y a certaines choses qui semblent être à notre service, mais elles ne nous sont utiles que si nous prenons la peine de nous en servir; il faut que nous commencions par les servir elles-mêmes. Ainsi, nos bêtes de somme, si, nous ne prenons point la peine de les élever, de les dompter et de les nourrir ne nous sont d’aucune utilité; la terre même qui, devrait-nous traiter en frères, ne nous donne notre pain qu’à la sueur de notre front, que dis-je ? après que nous l’avons bien cultivée, elle nous produit encore dés ronces et des épines. Ainsi en est-il de tout le reste, si nous y faisons attention toutes elles exigent de nous plus de service qu’elles ne nous en rendent, sans parler de celles qui sont toujours prêtes à nous nuire, tel que le feu à nous brûler, l’eau à nous engloutir, les bêtes sauvages à nous dévorer. Oui, j’en conviens, les choses sont ainsi, mais cela n’empêche pas que l’Apôtre ait dit vrai quand il s’exprime dans un autre endroit d’une manière encore plus explicite, en affirmant que  » Tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu et qu’il a appelés, selon son décret, pour être saints (Rom. VIII, 28).  » Remarquez bien que l’Apôtre ne dit pas que tout se plie à faire nos volontés, mais contribue au bien. Les choses ne servent pas à notre volonté, mais seulement à notre utilité ; non à notre plaisir, mais à notre salut; non à nos désirs, mais à notre bien. Il est si vrai que tout contribue à notre bien, de la manière que je vous dis, que, parmi elles, on compte les choses-même qui ne subsistent pas, tels que les afflictions, la maladie, la mort et même le péché. Or, on sait bien que ces choses ne sont point des êtres, mais la corruption de l’être. Quant au péché, peut-on douter qu’il sert à notre bien quand il contribue à rendre le pécheur plus humble, plus fervent, plus vigilant, plus timoré et plus prudent?

7. Telles sont les prémices de l’esprit et du royaume, un avant-goût de la gloire, le commencement du pouvoir; et en quelque sorte les arrhes de l’héritage de notre Père. Mais lorsque nous serons dans l’état parfait, ce qui est imparfait sera aboli (Cor. XIII, 10), en sorte que tout se fera selon nos voeux; l’utile et l’agréable seront inséparablement unis, alors commencera à se faire sentir ce poids incomparable de gloire, dont le même Apôtre a dit :  » Le moment si court et si léger des afflictions que nous souffrons, en cette vie, produit en nous le poids éternel d’une souveraine et incomparable gloire (II Cor. IV, 17).  » Eh bien, continuez maintenant à faire entendre vos murmures, dites : Ce moment est long et pesant, je ne puis supporter des maux si cruels et si durables. L’Apôtre représente ce qu’il souffre comme léger et momentané: or, vous n’en êtes pas venu au point d’avoir reçu des Juifs, à cinq reprises différentes, trente-neuf coups de fouet. Vous n’avez point passé un jour et une nuit au fond de la nier, vous n’avez point travaillé plus que tous les autres, enfin vous n’avez point encore résisté jusqu’à l’effusion de votre sang (II Cor. XI, passim). Vous voyez donc bien que vos souffrances ne sont pas dignes d’être comparées à la gloire, vous voyez, dis-je, que le temps de la tribulation est court et léger, taudis que le poids de la gloire est éternel, et que cette gloire même au haut des cieux dépasse toute mesure. Pourquoi vous donner ainsi des jours et des années pour un temps indéterminé? Une heure passe, une peine passe aussi, elles se suivent plutôt qu’elles ne s’enjambent, il n’en est pas ainsi de la gloire, de la rémunération, des récompenses de nos peines, elle ne tonnait ni soumission, ni fin, elle est entière à chaque instant et demeure entière éternellement.  » Après le sommeil qu’il aura donné à ses bien-aimés, ils verront leur héritage (Psal. CXXVI, 4).  » Maintenant, en effet, à chaque jour suffit sa peine, il ne peut point la réserver pour le suivant; mais la récompense de toutes nos peines nous sera donnée dans ce jour auquel nul jour ne succède. L’Apôtre a dit  » La couronne de justice m’est réservée, et le Seigneur, comme un juste juge me la rendra, ce jour-là ( II Tim. IV, 8),  » non point ces jours-là. Un seul jour passé dans vos tabernacles vaut mieux que mille autres jours (Psal. LXXXIII, 10). C’est goutte à goutte qu’on boit la peine, c’est comme à un filet d’eau courante qu’on la prend, elle passe par parties ; mais dans la rémunération c’est un torrent de voluptés, un fleuve impétueux ; un torrent débordé de joie, un fleuve de gloire, un fleuve de paix, mais un fleuve qui afflue, non pas un fleuve qui coule et s’écoule. C’est un fleuve non point parce qu’il passe, et prend son cours ailleurs, mais parce qu’il est abondant.

8. Il est dit :  » un poids éternel de gloire.  » Ce n’est pas un vêtement de gloire, une maison de gloire, mais c’est la gloire même qui nous est proposée, et, s’il se rencontre quelque fois quelque promesse de choses pareilles, ce n’est qu’une. figure. En effet, l’attente des justes dans la vérité, ce n’est pas quelque événement joyeux, mais c’est la joie même, (Prov. X, 28). On se réjouit dans les jouissances de la table, dans les pompes, dans les richesses, et même dans les vices, mais toutes ces joies aboutissent finalement à la tristesse, car étant attachées à des choses changeantes, elles changent avec leur objet. Vous allumez un flambeau, ce n’est pas la lumière pure que vous avez, mais la lumière d’un flambeau; le feu consume ce qui le nourrit, et ne s’alimente qu’en le consumant, aussi, quand la matière, commence à lui manquer il tombe, et quand elle lui rauque tout à fait il s’éteint lui même entièrement. Eh, bien, de même que, à la flamme succèdent la fumée et les ténèbres, ainsi la joie qui ne tient qu’à la présence de la chose joyeuse, se change en tristesse. Or, ce que Dieu nous présente ce n’est pas un simple rayon de miel, mais le miel le plus pur et le plus limpide, c’est la joie, la vie, la gloire, la paix, la volupté, l’aménité, la félicité, le bonheur et l’allégresse même, que le Seigneur notre Dieu thésaurise pour nous. Et tout cela ne fait qu’un, car il n’y a point de partage dans la Jérusalem céleste ; je ne dirais pas que tout cela ne fait qu’une seule et même chose, si je n’avais pour moi, comme je l’ai dit précédemment, le témoignage de l’Apôtre qui a dit :  » Le Seigneur leur sera tout en tout (I Cor. XV, 18).  » Oui, voilà quelle est notre récompense, notre couronne, notre victoire, le prix après lequel nous courons, avec le désir de nous en saisir. Mes frères, jamais un cultivateur prudent ne trouve l’époque des semailles trop longue, quand il soupire après une riche et abondante moisson, or vos jours ne sont pas moins comptés que les cheveux de votre tête, et de même qu’il ne peut périr un seul de vos cheveux, ainsi un seul de vos moments ne peut se perdre. Puis donc que nous avons reçu de telles espérances, ne perdons point courage, mes frères, ne nous fatiguons point, ne reprochons point au fardeau du Christ d’être lourd, bien qu’il nous ait assuré qu’il est léger, ni à son joug d’être pesant, mais toutes les fois que nous songeons au poids du jour, pensons à celui de la gloire éternelle, à laquelle je prie le Seigneur des vertus et le Roi de gloire de nous conduire par un effet de sa miséricorde. Mais en attendant disons, avec une humble dévotion :  » Seigneur ne nous attribuez pas votre gloire, mais réservez-la tout entière pour votre nom (Psal. CXIII. 9).  »

Saint Bernard de Clervaux (1090-1153)