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PREMIER SERMON. Incertitude et brièveté de la vie. (Saint Bernard de Clairvaux)

1. C’est une pensée bien vraie, mes frères, que  » la vie de l’homme sur la terre est une tentation (Job VII, 1).  » En effet, elle est incertaine et nous trompe de bien des manières, car, pour tromper (a) les hommes de plus de manières, elle change de figure et de voix. Tantôt elle dit oui, tantôt elle dit non sans rougir. Elle parle aux uns d’une manière et aux antres d’une autre sur sa propre longueur, que dis-je, souvent aux mêmes hommes, elle tient un langage différent et opposé , selon la diversité du temps. Tantôt elle se plaint de sa propre brièveté, et tantôt elle feint d’être plus longue qu’elle n’est. Quand le péché plait encore, elle gémit profondément sur sa brièveté. Cette brièveté n’est que trop réelle, mais ses gémissements, tombent à faux, car ce qu’elle constate devrait plutôt la remplir de joie que de douleur. En effet, il serait désirable pour elle, si elle persévère dans ses mauvais errements, que la nécessité mît fin à ses crimes, puisque la volonté ne peut le faire. Il vaut mieux mourir promptement de la mort du corps, quand on meurt toujours de celle de l’âme, il aurait même été préférable pour celui qui vit ainsi qu’il ne fût pas né. La pensée de la brièveté de la vie devrait être pour nous plutôt un remède qu’une excitation au péché, selon cette parole de l’Écriture :  » Souvenez-vous de vos fins dernières et vous ne pécherez jamais (Eccli. VII, 40).  » Mais si le péché a si bien établi son règne eu vous, ou plutôt si vous vous plaisez tellement dans la servitude du péché, que vous gémissiez de ne pouvoir pas en être assez longtemps l’esclave, et que vous aimiez la voie large où vous courez au point de vouloir aussi la faire longue autant qu’il serait en vous, sachez gîte soit que vous le vouliez, soit que vous ne le vouliez pas, le terme n’en est pas éloigné ; mais vous, vous êtes bien loin du royaume de Pieu , et vous conviendrez que vous avez fait une étroite alliance avec la mort et un pacte avec l’enfer.

2. Le Prophète a dit :  » Ils ont erré dans la solitude, dans des lieux où il n’y avait point d’eau, et ils n’ont point trouvé de route qui les

(a – Ce passage et les suivants, sont cités dans le livre VI, chapitre 30 des Fleurs de saint Bernard, ainsi que ces mots:  » Est-il versé dans les lettres, il ne veut point d’associé, etc.  » Voir même livre, chapitre premier.)

conduisît dans une ville où ils pussent habiter (Psal. CVI, 4).  » Cette solitude est la solitude de l’orgueil, car les orgueilleux se regardent comme étant seuls, et ne désirent qu’une chose, passer pour uniques. Est-il versé dans les lettres, il ne veut point d’associé. Est-il habile dans lés affaires du monde, il veut être sans pareil. S’il a de la fortune, il souffre d’en voir d’autres en acquérir aussi. Est-il fort, bien fait, ne lui montrez pas son semblable, il en sècherait de dépit. Il va seul, mais il marche dans une voie erronée, il s’égare dans sa solitude, on ne peut habiter seul sur la terre. Il ne faut pas s’étonner que le Prophète ait ajouté, en parlant de cette solitude, que c’est un lieu sans eau, en disant :  » dans la solitude, dans des lieux où il n’y a point d’eau.  » C’est que, de même que l’eau manque ordinairement dans les solitudes et que les lieux déserts sont le plus souvent arides et stériles, ainsi ne trouve-t-on que l’impénitence là où est l’orgueil. Le coeur qui s’enfle est dur, sans piété, sans componction, et privé de toute rosée de la grâce spirituelle, car  » Dieu résiste aux superbes, et ne donne sa grâce qu’aux humbles (Jac. IV, 6). Il fait jaillir ses sources dans les vallées, et couler ses eaux entre les montagnes (Psal. CIII, 11), comme dit le Prophète. Voilà ce qui faisait dire ailleurs au Psalmiste, en gémissant de son propre état . « Mon âme est devant vous comme une terre sans eau (Psalm. CXLVII, 6).  » Le manque d’eau rend un endroit, non-seulement aride, mais sordide, puisqu’il n’y a aucun moyen de le purifier, aussi un coeur d’homme qui ne connaît point les larmes, est nécessairement dur, ce n’est pas assez, est impur.  » Je laverai ma couche toutes les nuits (Psal. VI, 7),  » dit le Prophète, pour effacer les souillures de ma conscience,  » j’arroserai mon lit de mes larmes,  » de peur de voir s’accomplir en moi ce qui a été écrit de la semence qui est tombée sur la pierre,. et qui se dessécha après avoir, poussé, parce qu’elle manquait d’humidité.

3. « Ils ont donc erré dans la solitude, dans des lieux où il n’y avait point d’eau, et ils ne trouvèrent point de route qui les conduisît dans une ville où ils pussent habiter. » Oui, ils ont erré, non point dans une voie, mais hors de toute voie frayée, car une voie large n’est point une voie. Ce qui est le propre d’une voie est d’être droite, la largeur appartient aux plaines bien plutôt qu’aux chemins. Être seul dans un chemin, c’est avoir un chemin large, mais là où il n’y a point de route tracée tout est chemin. Telle est la vie qui est exposée aux vices, elle s’étend, à droite et à gauche, dans de très-grands espaces, attendu qu’elle n’a point de bornes. D’ailleurs on ne saurait lui donner proprement le nom de vie, puisqu’elle n’aboutit qu’à la mort, selon cette parole de l’Apôtre :  » Si vous vivez selon la chair, notre vie est une mort (Rom. VIII, 13).  » De même, une voie qui procède par circuits, d’est pas proprement une voie, c’est celle des impies, selon ce mot du Psalmiste :  » Les impies avancent par circuit (Psal. XI, 9).  » Leur voie est la voie spacieuse qu’aucune borne ne renferme, c’est la vôtre où il n’y a plus ni loi, ni prévarication. C’est donc avec confiance que la vie, dans son incertitude, se plaint encore de sa brièveté aux enfants de l’incrédulité, qui se sont plongés tout entiers dans les voluptés corporelles, et dans leurs propres volontés, pour qu’ils soient affligés selon la chair, en reconnaissant, à l’instar de leur propre prince (b), qu’ils ont peu de temps, et qu’ils se lancent avec d’autant plus d’ardeur, dans fonte espèce de crimes, selon ce que disaient ceux que le Sage fait parler ainsi :  » Ne laissons point passer la fleur de la saison. Couronnons-nous de roses avant qu’elles se flétrissent. Qu’il n’y ait point de pré, où nos passions luxurieuses ne s’étalent, que nul endroit ne soit vierge de nos débauches, laissons partout des traces de nos excès ; car c’est là notre sort et notre partage (Sap. II, 7 à 9).  » Ou bien d’une façon plus claire encore :  » Mangeons et buvons, car nous mourrons demain (Ibid. 6).  » Mais voici ce que la justice, leur répondra demain : ceux qui n’ont pas trouvé la voie qui les conduisît. à, une cité où ils pussent fixer leur séjour, n’ont point de cité permanente ici, et plus ils se hâtent de pécher, plus ils montrent combien ils sont insensés. Évidemment, si au moment où ils commencent à trembler à la pensée de la mort qui les menace de près, et à se sentir saisis de frayeur au souvenir du jugement terrible qui les attend, la vie, malgré son incertitude, leur dit qu’elle est longue, elle les induit en erreur, puisqu’elle leur fait trouver tout à coup tellement longue une vie qu’ils gémissaient de voir si courte pour le péché, qu’ils croient pouvoir, sans crainte, en consumer dans le mal une partie notable encore puisqu’il leur en resté bien assez polir faire pénitence de leurs péchés. Mais, de même que pour les premiers, s’ils ne viennent à récipiscence, ils sont victimes de ce qu’ils appréhendent, que dis-je? ils tombent dans des maux plus considérables que ceux qu’ils redoutent, puisque non-seulement ils voient passer avec une effrayante rapidité ces jours de péché, mais encore les voient suivre des jours ou plutôt de l’éternité même des supplices; ainsi, ceux qui avaient à la bouche les mots de paix et de sécurité, verront fondre, tout à coup, sur eux, la mort qui ne leur laissera même pas jouir de la moitié des jours de vie dont ils se berçaient, encore dans leurs rêves, ni en remplir, même à moitié, le cours comme ils se l’étaient promis.

4. Pour ce qui vous concerne, mes frères, je n’appréhende ni vaine tristesse de la brièveté de la vie qui est vraie, ni trompeuses espérances fondées sur une durée qui n’est pas, attendu qu’il est très-certain pour moi que vous avez commencé à entrer dans les voies qui conduisent à la cité, où vous pouvez fixer votre séjour et que vous ne marchez point dans des sentiers non frayés, mais bien dans la voie. Pourtant, je crains, pour vous, autre chose que cela, c’est que la vie non pas vous illusionne par l’apparence de sa longueur, mais qu’au lieu de vous être, à cause même de sa brièveté, un sujet de consolation, elle ne le soit de tristesse. Oui, j’ai peur que dans la pensée que ce qui vous reste à vivre et la

(b – C’est du diable que saint Bernard veut parler ici, selon ces paroles de l’Apocalypse « Le diable est descendu vers vous plein de colère, parce qu’il sait bien le peu de temps qu’il lui reste (Apoc. XI, 12 ). « )

route à parcourir ne soient bien longs encore, votre âme ne se laisse aller au découragement, et ne désespère de pouvoir soutenir jusqu’au bout des fatigues si grandes et si prolongées. Mais les consolations divines versent la joie dans l’âme des élus à proportion de la multitude de leurs épreuves. Oui, à présent, c’est à proportion de ces épreuves, c’est avec mesure, en quelque sorte qu’elles nous sort données. Mais après cela, ce ne sont plus des consolations, mais des délices sans fin que nous trouverons dans la droite du Seigneur. Soupirons, mes frères, après cette droite qui doit nous embrasser tous, soupirons après ces délices, et que l’excès de nos désirs nous fasse trouver courts les jours qui nous restent à vivre et qui seront, en effet, bien vite passés.  » Tontes les souffrances de la vie, présente n’ont point de proportion avec cette gloire qui sera, un jour, découverte en nous (Rom. VIII, 16).  » Quelle agréable promesse, comme elle est digne de faire l’objet de tous nos voeux ! Nous ne nous tiendrons point là comme des spectateurs aussi vides que vains, et cette gloire ne sera pas une gloire extérieure à nous, mais elle sera en nous. En effet, nous verrons Dieu face à face, mais non hors de nous, il sera en nous; car il sera font en tons; si la terre elle-même doit être pleine de cette gloire, à combien plus forte raison notre âme devra-t-elle en être remplie ?  » Nous serons remplis des biens de votre maison (Psal. LXIV, 5),  » est-il dit. Mais pourquoi dis-je que la gloire de Dieu ne brillera pas seulement devant nous, mais en nous ? C’est que, si maintenant elle est en nous, alors elle sera révélée en nous, car pour le moment, nous sommes les enfants de Dieu; mais ce qui nous devons être, un jour, n’a point encore paru.

5. Mes frères, si nous n’avons point reçut l’esprit de ce monde, mais l’esprit qui vient de Dieu, sachons ce qui nous a été donné de Dieu. Or, pour le dire d’un mot, il nous a tout donné, et si vous ne m’en croyez pas, croyez du moins à l’Apôtre qui vous dit :  » Celui qui n’a pas même épargné son propre fils, mais l’a livré pour nous tous, ne nous a-t-il point donné tout le reste avec lui (Rom. VIII, 32) ? » Telle est, par exemple, la puissance des enfants de Dieu qu’il a donnée à ceux qui l’ont reçue; telle est la gloire réservée à chacun des fidèles, la gloire qui convient aux enfants adoptifs du père, et qui nous est donnée par celui dont nous avons vu aussi la gloire; mais la gloire qui convient au Fils unique du Père. Quant à la puissance, écoutez ce qu’il en dit lui-même : « Tout est possible à celui qui croit (Marc. IX, 12).  »

6. Mais, direz-vous, il y a encore bien des choses qui lue causent de graves inquiétudes, bien des choses qui me sont manifestement contraires, et je m’étonne que vous me disiez que tout m’a été donné, quand il n’y a presque rien qui se plie à mes désirs. Il y a certaines choses qui semblent être à notre service, mais elles ne nous sont utiles que si nous prenons la peine de nous en servir; il faut que nous commencions par les servir elles-mêmes. Ainsi, nos bêtes de somme, si, nous ne prenons point la peine de les élever, de les dompter et de les nourrir ne nous sont d’aucune utilité; la terre même qui, devrait-nous traiter en frères, ne nous donne notre pain qu’à la sueur de notre front, que dis-je ? après que nous l’avons bien cultivée, elle nous produit encore dés ronces et des épines. Ainsi en est-il de tout le reste, si nous y faisons attention toutes elles exigent de nous plus de service qu’elles ne nous en rendent, sans parler de celles qui sont toujours prêtes à nous nuire, tel que le feu à nous brûler, l’eau à nous engloutir, les bêtes sauvages à nous dévorer. Oui, j’en conviens, les choses sont ainsi, mais cela n’empêche pas que l’Apôtre ait dit vrai quand il s’exprime dans un autre endroit d’une manière encore plus explicite, en affirmant que  » Tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu et qu’il a appelés, selon son décret, pour être saints (Rom. VIII, 28).  » Remarquez bien que l’Apôtre ne dit pas que tout se plie à faire nos volontés, mais contribue au bien. Les choses ne servent pas à notre volonté, mais seulement à notre utilité ; non à notre plaisir, mais à notre salut; non à nos désirs, mais à notre bien. Il est si vrai que tout contribue à notre bien, de la manière que je vous dis, que, parmi elles, on compte les choses-même qui ne subsistent pas, tels que les afflictions, la maladie, la mort et même le péché. Or, on sait bien que ces choses ne sont point des êtres, mais la corruption de l’être. Quant au péché, peut-on douter qu’il sert à notre bien quand il contribue à rendre le pécheur plus humble, plus fervent, plus vigilant, plus timoré et plus prudent?

7. Telles sont les prémices de l’esprit et du royaume, un avant-goût de la gloire, le commencement du pouvoir; et en quelque sorte les arrhes de l’héritage de notre Père. Mais lorsque nous serons dans l’état parfait, ce qui est imparfait sera aboli (Cor. XIII, 10), en sorte que tout se fera selon nos voeux; l’utile et l’agréable seront inséparablement unis, alors commencera à se faire sentir ce poids incomparable de gloire, dont le même Apôtre a dit :  » Le moment si court et si léger des afflictions que nous souffrons, en cette vie, produit en nous le poids éternel d’une souveraine et incomparable gloire (II Cor. IV, 17).  » Eh bien, continuez maintenant à faire entendre vos murmures, dites : Ce moment est long et pesant, je ne puis supporter des maux si cruels et si durables. L’Apôtre représente ce qu’il souffre comme léger et momentané: or, vous n’en êtes pas venu au point d’avoir reçu des Juifs, à cinq reprises différentes, trente-neuf coups de fouet. Vous n’avez point passé un jour et une nuit au fond de la nier, vous n’avez point travaillé plus que tous les autres, enfin vous n’avez point encore résisté jusqu’à l’effusion de votre sang (II Cor. XI, passim). Vous voyez donc bien que vos souffrances ne sont pas dignes d’être comparées à la gloire, vous voyez, dis-je, que le temps de la tribulation est court et léger, taudis que le poids de la gloire est éternel, et que cette gloire même au haut des cieux dépasse toute mesure. Pourquoi vous donner ainsi des jours et des années pour un temps indéterminé? Une heure passe, une peine passe aussi, elles se suivent plutôt qu’elles ne s’enjambent, il n’en est pas ainsi de la gloire, de la rémunération, des récompenses de nos peines, elle ne tonnait ni soumission, ni fin, elle est entière à chaque instant et demeure entière éternellement.  » Après le sommeil qu’il aura donné à ses bien-aimés, ils verront leur héritage (Psal. CXXVI, 4).  » Maintenant, en effet, à chaque jour suffit sa peine, il ne peut point la réserver pour le suivant; mais la récompense de toutes nos peines nous sera donnée dans ce jour auquel nul jour ne succède. L’Apôtre a dit  » La couronne de justice m’est réservée, et le Seigneur, comme un juste juge me la rendra, ce jour-là ( II Tim. IV, 8),  » non point ces jours-là. Un seul jour passé dans vos tabernacles vaut mieux que mille autres jours (Psal. LXXXIII, 10). C’est goutte à goutte qu’on boit la peine, c’est comme à un filet d’eau courante qu’on la prend, elle passe par parties ; mais dans la rémunération c’est un torrent de voluptés, un fleuve impétueux ; un torrent débordé de joie, un fleuve de gloire, un fleuve de paix, mais un fleuve qui afflue, non pas un fleuve qui coule et s’écoule. C’est un fleuve non point parce qu’il passe, et prend son cours ailleurs, mais parce qu’il est abondant.

8. Il est dit :  » un poids éternel de gloire.  » Ce n’est pas un vêtement de gloire, une maison de gloire, mais c’est la gloire même qui nous est proposée, et, s’il se rencontre quelque fois quelque promesse de choses pareilles, ce n’est qu’une. figure. En effet, l’attente des justes dans la vérité, ce n’est pas quelque événement joyeux, mais c’est la joie même, (Prov. X, 28). On se réjouit dans les jouissances de la table, dans les pompes, dans les richesses, et même dans les vices, mais toutes ces joies aboutissent finalement à la tristesse, car étant attachées à des choses changeantes, elles changent avec leur objet. Vous allumez un flambeau, ce n’est pas la lumière pure que vous avez, mais la lumière d’un flambeau; le feu consume ce qui le nourrit, et ne s’alimente qu’en le consumant, aussi, quand la matière, commence à lui manquer il tombe, et quand elle lui rauque tout à fait il s’éteint lui même entièrement. Eh, bien, de même que, à la flamme succèdent la fumée et les ténèbres, ainsi la joie qui ne tient qu’à la présence de la chose joyeuse, se change en tristesse. Or, ce que Dieu nous présente ce n’est pas un simple rayon de miel, mais le miel le plus pur et le plus limpide, c’est la joie, la vie, la gloire, la paix, la volupté, l’aménité, la félicité, le bonheur et l’allégresse même, que le Seigneur notre Dieu thésaurise pour nous. Et tout cela ne fait qu’un, car il n’y a point de partage dans la Jérusalem céleste ; je ne dirais pas que tout cela ne fait qu’une seule et même chose, si je n’avais pour moi, comme je l’ai dit précédemment, le témoignage de l’Apôtre qui a dit :  » Le Seigneur leur sera tout en tout (I Cor. XV, 18).  » Oui, voilà quelle est notre récompense, notre couronne, notre victoire, le prix après lequel nous courons, avec le désir de nous en saisir. Mes frères, jamais un cultivateur prudent ne trouve l’époque des semailles trop longue, quand il soupire après une riche et abondante moisson, or vos jours ne sont pas moins comptés que les cheveux de votre tête, et de même qu’il ne peut périr un seul de vos cheveux, ainsi un seul de vos moments ne peut se perdre. Puis donc que nous avons reçu de telles espérances, ne perdons point courage, mes frères, ne nous fatiguons point, ne reprochons point au fardeau du Christ d’être lourd, bien qu’il nous ait assuré qu’il est léger, ni à son joug d’être pesant, mais toutes les fois que nous songeons au poids du jour, pensons à celui de la gloire éternelle, à laquelle je prie le Seigneur des vertus et le Roi de gloire de nous conduire par un effet de sa miséricorde. Mais en attendant disons, avec une humble dévotion :  » Seigneur ne nous attribuez pas votre gloire, mais réservez-la tout entière pour votre nom (Psal. CXIII. 9).  »

Saint Bernard de Clervaux (1090-1153)