Saint François-Xavier, l’apôtre des Indes

Saint François-Xavier, l’apôtre des Indes

Quiconque lit entre les lignes dans l’histoire de sa vie, remarquera que saint François-Xavier n’était en aucune façon le grand triomphateur que nous nous représentons. Rétrospectivement bien des traits nous prouvent qu’il parut avoir échoué aux yeux de beaucoup de ses contemporains. En dépit des quelques amis fidèles, auxquels il manifeste un attachement sincère, tout au long de sa vie il fera l’expérience d’une grande solitude et incompréhension de la part de ses semblables. De nature robuste et sanguine, il souffrait de réactions violentes ; doué de talents extraordinaires, la petitesse d’esprit des hommes qui l’entouraient et qui bloquaient son chemin à chaque tournant lui était insupportable. Homme aux vastes horizons et d’une ambition sans limites, il semblait toujours enclin au découragement et tenté de renoncer à l’oeuvre qu’il avait entreprise.

Saint François-Xavier
Saint François-Xavier
Du jour où il décida de se joindre aux compagnons de saint Ignace, François-Xavier causa une profonde déception à ceux qui l’avaient connu auparavant. Ses parents furent désolés, quand celui-ci renonça à une brillante carrière dans l’enseignement pour se mettre au service de l’Eglise. A L’université aussi, on se montrait déçu, lorsque François-Xavier renonça à une chaire de professeur. Refusant une carrière qui l’aurait sans doute élevé jusqu’au haut rang de la société, préféra suivre Ignace de Loyola à Rome, où il fit pénitence pour sa vie passée, puis à Bologne. C’est là qu’il fit ses perrières preuves. C’était un prêcheur né et un apôtre. Voilà l’homme qu’il fallait pour réformer cette ville, et d’autres ensuite ; cependant, on l’arracha à ces occupations de prédicateur pour le faire asseoir derrière une table, en qualité de secrétaire particulier. Cet homme si doué, si clairvoyant, si sympathique, si zélé, allait rendre de précieux services dans l’élaboration de la nouvelle constitution de la Compagnie de Jésus. Mais cette nouvelle tâche ne dura pas bien longtemps. Du jour au lendemain, François-Xavier partit pour le Portugal, puis embarqua pour les Indes, le jour de son anniversaire en 1541.

Arrivé sur place, notre jeune missionnaire fut confronté à un vrai désastre humain et moral : les indigènes haïssaient le christianisme, qui leur était imposé par la force, les femmes étaient contraintes de se marier à des soldats portugais ou des valets d’armée. Il n’était pas rare de voir des religieuses qui se faisaient servir par leur propres domestiques, ou des gens riches qui se faisaient porter à l’église, suivis de leurs esclaves. Souvent la religion était considérée comme moyen de conquête et d’enrichissement. C’est dans donc cette atmosphère de tyrannie et de luxure que François-Xavier commença son difficile apostolat. Ce qui devait arriver arriva : l’homme de Dieu entra en guerre avec les officiels portugais, battant en brèche leur autorité et stigmatisant leur cupidité. Il était venu aux Indes sous la protection du drapeau portugais ; la foi doit aller de pair avec le drapeau, pensaient-ils pour la plupart ; un peuple gagné à la foi est un peuple gagné au Portugal. Mais cet homme insatiable et profondément juste ne se satisfaisait pas de formules qui n’avaient rien d’évangélique. Bien qu’officiellement envoyé par le roi de Portugal, il entendait servir la couronne comme il lui plaisait, mais pas davantage. Il est certain que les plaintes qui affluèrent au Portugal, et jusqu’à Rome chez le général, Ignace de Loyola, n’étaient pas sans fondement, et pour ceux qui n’en savaient pas plus, ces accusations étaient convaincantes. Mais voici qu’on lui demanda de tout quitter, d’aller à Rome, puis d’aller prêcher à travers l’Italie. Il obéit. Mais à peine avait-il commencé sa mission de prédicateur qu’on lui ordonna de tout arrêter et de retourner à ses fonctions de secrétaire particulier. Toutefois, là encore pouvait-on trouver des motifs de se donner de tout coeur à la tâche : d’abord l’oeuvre magnifique de la création d’un Ordre religieux et ensuite l’intimité constante avec l’ami le plus cher à son coeur : saint Ignace de Loyola. Mais voilà que tout à coup, on lui commandait de partir sur-le-champ pour le Portugal et les Indes, de quitter tout ce pour quoi il avait vécu, de dire adieu à la vie qu’il avait menée jusqu’alors. Humainement parlant, ce départ équivaut à une mort intérieure. Lorsqu’il entreprit son travail aux Indes, les déceptions et les insuccès semblèrent s’attacher à ses pas. Des quelques compagnons qu’il emmena avec lui, un seul semble avoir persévéré. Sa première mission hardie parmi les indigènes, où la foi avait trouvé un bon terrain, fut rapidement effacée de la surface du globe par un raid d’envahisseurs païens. Ses pouvoirs extraordinaires, comme nonce du pape et plénipotentiaire du roi de Portugal, ne lui furent pratiquement d’aucune utilité, sauf contre ses détracteurs. C’est son échec dans les possessions portugaises qui le poussa plus loin, vers l’Extrême-Orient, vers le Japon. Les années passaient et tout ce qu’il avait entrepris semblait avoir échoué. L’infortuné missionnaire aurait bien voulu quitter les Indes partir rejoindre l’Abyssinie, l’Arabie, Madagascar, n’importe où il pourrait faire un peu de bien avant de mourir, car tout ce qu’il vivait fait jusque-là n’avait apparemment servi à rien. Epuisé de corps et d’âme, il se terra durant plusieurs semaines dans le jardin du collège Saint-Paul de Goa. Ce collège, modèle d’ouverture et d’inculturation, est l’oeuvre de François-Xavier. C’est lui qui créa et dirigea cet Institut destiné à la formation des prêtres et catéchistes indigènes qui venaient de tous les pays d’Orient. Surchargé de travail, ce dernier écrivit en Europe pour demander qu’on lui envoyât un recteur pour son Collège. Les supérieurs acceptèrent cette requête et lui envoyèrent le Père Antonio Gomes, homme de grande culture, mais aussi très intransigeant et incapable de comprendre la culture locale. Avec l’installation de ce nouveau recteur, les problèmes ne vont pas tarder à surgir. Tout d’abord il entreprit de réformer les religieux : renforcement des règles concernant la nourriture et la boisson, le sommeil et la récréation, le travail et les exercices spirituels, sans tenir aucun compte des conditions propres au pays. Ensuite, il tourna son attention vers les étudiants. Ces jeunes gens, qui venaient de tous les coins des Indes et de l‘Extrême-Orient, furent contraint de se conformer è l’éducation rigide telle que était alors dispensée en Europe. Le résultat était inévitable; en très peu de temps, les étudiants commencèrent à franchir les murs du collège et à s’enfuir. En voyant un tel désastre, François-Xavier se fâcha mais en vain. Gomez avait été envoyé pour apporter en Orient, et à Xavier lui-même, l’enseignement et les méthodes de la Compagnie au Portugal, et non pour y recevoir des leçons. François-Xavier aurait bien voulu trouver un autre poste pour le Père Gomes, mais celui-ci résista et fit appel à ses amis, au vice-roi, à l’évêque et d’autres pour soutenir sa cause. François-Xavier dut s’incliner et partir pour le Japon le coeur lourd, car il savait fort bien qu’il laissait derrière lui le ferment de graves difficultés. En fait, à peine était-il parti que les étudiants indigènes furent chassés du Collège et remplacées par de jeunes portugais.

Tout ce que François-Xavier avait entrepris avait mal tourné et ses plans avaient été régulièrement réduits à néant par la faute de ceux-là mêmes dont il était en droit d’attendre le plus. En deux mois il atteignit Malacca (Singapour); un mois plus tard il faisait route vers le Japon.

Parmi les religieux, aux Indes, régnait un malaise qui ne cesserait d’empirer, à moins qu’il ne revint. François-Xavier n’avait pas le choix : face à l’urgence de la situation il décida de revenir à Goa. En novembre 1551, il s’embarqua pour Malacca où il arriva quarante jours plus tard. C’est là qu’il reçut une immense consolation, humainement parlant, la plus grande qu’il ait eue durant tout son séjour en Orient. C’était une lettre d’encouragement d’Ignace de Loyola, la première qui lui fut parvenue depuis quatre ans. Le saint, qui avait bien compris la situation et les souffrances endurées par son disciple, décida de faire des Indes et de l’Orient une Province nouvelle, indépendante de celle du Portugal, et donna à François-Xavier la charge de la diriger. François est nommé Provincial, mais rien n’ira comme prévu.

Nous sommes à moins d’un an avant sa mort. François-Xavier s’embarqua à Malacca pour Cochin, où de nouveaux soucis l’attendaient. Durant tout son séjour aux Indes, un des hommes sur qui il pouvait compter, frère Antonio, originaire de Parme, avait été assassiné par des pillards musulmans ; avec sa mort, la plus grande partie de l’oeuvre de François -Xavier sur la côte des pécheurs était anéantie. Les nouvelles de Goa étaient pires encore. Le père Antonio Gomes, le sévère recteur du collège, s’était nommé lui-même Vice-Provincial, ignorant et bafouant l’autorité de François Xavier. Dans cette charge, Gomes avait semé le désordre partout. Il alla jusqu’à usurper le bien d’autrui ; en réclamant comme siennes les églises prévues pour les besoins de la Compagnie. A Goa même, les Pères Jésuites étaient presque en révolte ouverte. Ils ne savaient plus à qui ils devaient obéir. François-Xavier débarqua à Goa en février 1552. Il devait y rester seulement deux mois avant de repartir pour son ultime voyage en Chine. Depuis qu’Il était Provincial avec la faculté d’agir en toute indépendance, son premier soin fut de démettre le Père Antonio Gomes de ses fonctions et de l’envoyer loin sur la côte à Diu. L’année suivante ce dernier sera renvoyé en Europe.

François se remit en route pour ne jamais revenir. Il fut reçu avec de grands honneurs à Malacca, où il donna à un ami, un certain Pereira, une lettre le nommant ambassadeur, pour lui permettre de l’accompagner chez le « roi » de Chine. Mais les difficultés commencèrent. Le gouverneur de Malacca refusa de laisser partir Pereira ; puis il se retourna contre François-Xavier et la majorité de la Cour emboita le pas. François repartit – avec, au coeur, une nouvelle blessure – accompagné de deux serviteurs, l’un chinois, l’autre indien. Mais ce n’est pas tout. Il quitta Malacca quasiment mourant. Le bateau qui l’avait amené était reparti pour son port d’attache, sans un mot d’avertissement ; il ne restait au port qu’une seule embarcation portugaise, qui attendait des vents favorables. François-Xavier était couché sous un abri de fortune ; durant toute sa maladie, pas un seul Européen du bateau à l’ancre dans le port ne vint le visiter. Il mourut seul, le 3 décembre 1552, seul comme il l’avait été durant presque toute sa vie. Il ne cessait de répéter avec tristesse et résignation : « Jésus, Fils de David, ayez pitié de moi !». C’est dans cet échec même, plus que dans tous les triomphes, que réside la vraie grandeur du saint. Car malgré toutes les difficultés, il ne faiblit pas et ne se rendit jamais. C’est là toute la valeur de son sacrifice, dont d’autres pourront recueillir les fruits.

François-Xavier fut canonisé le 12 mars 1622, en même temps qu’Ignace de Loyola. Ni la vie, ni la mort n’avaient pu séparer ces deux grands saints.